20/01/2009
Jean-Pierre Vallotton (2)
Oui, j'ai vécu dans cette tour, je crois. Mais quand ? Prométhée m'avait-il déjà rendu l'ardeur qui me brûlait l'âme ? Ou était-ce la main de Diotime, la nuit, qui mettait le feu à mes joues ?
Cet arbre enserrant la demeure, je ne me souviens pas. Pouvais-je seulement l'apercevoir de ma pauvre fenêtre ?
Mais je me rappelle le fleuve qui roulait ses copeaux jusque sous mon lit. Oh ! la bonne odeur de ces fraîches lamelles lactées. Un brave homme s'occupait de moi. C'est lui que la Loreleï avait choisi pour me porter ces parchemins recroquevillés sur leur intimité, chacun devant me délivrer le message secret que j'aurais à charge de décrypter pour mes frères d'hier et de demain, leur dire l'avance, le recul des saisons fugitives, la frêle voix des sources qui irrigue le fleuve du temps.
En cette tour j'ai vécu. Ou bien c'était ailleurs. Qu'importe aux morts, aux vivants ?
J'étais là, je suis là, parmi vous, l'un de vous - l'auriez-vous oublié ? Ou c'était un autre, peut-être ?
Le silence est la voix de la nuit.
Une dernière fois, égaré entre tous ces siècles, laissez-moi signer, humblement : votre Scardanelli.
(Hölderlin)
Publié dans le n°4/2007 (décembre) du Journal des Poètes
(Maison internationale de la Poésie, Bruxelles).
Jean-Pierre Vallotton
Né à Genève en 1955. Parmi ses recueils : Tout cela brûlera (La Bartavelle, 1992) ; Reliefs d'un automne (L'Arbre à paroles, 1995) ; Sommeils de givre, Sommeils de plomb (Empreintes, 1997, Prix Louise Labé 1998) ; Précédemment (L'Arbre à paroles, 1998) ; Chansons en mie de pain : poèmes pour enfants (Lo Païs d'enfance, 2000) ; Poèmes à cordes (L'Arbre à paroles, 2004, Prix Poncetton de la SGDL 2005) ; Ici-haut suivi de Le corps inhabitable (L'Arbre à paroles, 2005).
Un précieux livre d'entretiens avec Jean Tardieu : Causeries devant la fenêtre (Lausanne : PAP, 1988), à rééditer d'urgence.
Invité précédemment dans Poesiemaintenant le 31 octobre 2006.
Pour en savoir plus : http://www.culturactif.ch/ecrivains/vallotton.htm
10:55 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.