22/02/2019
Michel Baglin (3)
Je rends grâce à des riens que la distance irise, une agate dans la poche,
un goût de coco imprégnant les jeudis, des souvenirs de cuisses rougies sur les rampes d'escaliers.
Aux robes à fleurs de ma mère légères dans le soleil du séjour, aux tablées d'amis des dimanches,
aux blagues de mon père et au tapis qu'on finissait toujours par rouler pour danser.
A l'appui rouillé de la fenêtre d'où je regardais Paris le soir
et d'où j'attendis un jour le camion des déménageurs sans parvenir tout à fait à croire
que l'éternité n'a qu'un temps.
* * * * *
Je rends grâce en somme à tout ce qu'on dénigre,
à la flânerie, à l'écoute, aux détours par le coeur,
au chien sur le chemin qui vous arrête et vous rappelle
que la caresse est la meilleure façon de recevoir le jour.
* * * * *
Ne jamais rendre grâce qu'à ce qui vivifie, amplifie, féconde
l'humaine contradiction de perdre
et de prendre pied tout à la fois.
Rendre grâce à ce qui titube, vacille même
en nous à certaines heures du jour ou de la nuit,
à l'ivresse de se sentir soudain là, suspendus, vertigineusement là,
éperdus, perdus, submergés dans le maelström,
le trou noir de la présence,
saoulés d'un vin
qui ne console pas.
L'alcool des vents. - éd. Rhubarbe, 2019
(1e éd. 2010). - 106 p.
Michel Baglin
Né en 1950. Parmi ses recueils : Déambulatoire (éd. Chambelland, 1974) ; Masques nus (éd. Chambelland, 1976) ; L'ordinaire (éd. Traces, 1977) ; Jour et nuit (éd. Le Pavé, 1985) ; Quête du poème (éd. Texture, 1986) ; Les mains nues (l'Age d'Homme, 1988, préface de Jérôme Garcin, Prix Max-Pol Fouchet) ; L'obscur vertige des vivants (éd. Le Dé bleu, 1994) ; L'alcool des vents (Le Cherche-Midi, 2004, rééd. Rhubarbe, 2010 et 2019) ; Les chants du regard : sur des photographies de Jean Dieuzaide (Privat, 2006) ; Les pages tournées (éd. Fondamente / Multiples, 2007) ; De chair et de mots (éd. le Castor astral, 2012) ; Un présent qui s'absente (éd. Bruno Doucey, 2013).
Également romancier : Lignes de fuite (éd. Arcantère, 1989) ; Un sang d'encre (éd. N & B, 2001).
nouvelliste : Le Ghetto des squares (éd. Soc et foc, 1985) ; Ruptures (éd. Texture, 1986) ; La part du Diable (éd. Le Bruit des autres, 2013).
et essayiste : Poésie et pesanteur (éd. Atelier du Gué, 1984 et 1992) ; François de Cornière (éd. Atelier du Gué, 1984) ; La perte du réel : des écrans entre le monde et nous (éd. N & B, 1998) ; Lettres d'un athée à un ami croyant (éd. Henry, 2017).
A créé et animé pendant une décennie la revue Texture. Anime actuellement le très complet site Texture (lien ci-contre, colonne de gauche).
Déjà présent dans Poésiemaintenant le 18 octobre 2006 et le 28 février 2014.
16:30 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie, poésie contemporaine