10/08/2010
Angèle Vannier
Présence d'un château
Ce château m'appartient ce soir jusqu'à la gorge
Mon cri nourrit la nuit tournante des couloirs
Et les grands escaliers que mes pas interrogent
Et l'ombre d'un passé qui voûte le miroir
J'ai refermé sans bruit les ailes des horloges
Et décousu tout un réseau de portes vierges
De mémoire
Mon souffle aiguise une épée morte
et mon regard
Ouvre un bal sous la peau d'un crime par hasard
Tous les tableaux que je rencontre me ressemblent
Toutes les rondes que j'allume tournent court
Pourtant je puis ici filer le feu
et tout ensemble
Comme on garde le lit je puis garder la tour
Des eaux remuent sous les paupières de la cendre
C'est un étang
Que j'aimerais ne pas trahir avant le jour
Il portera le même nom que moi les nuits d'orage
Puisqu'il surgit du même sang
Du même amour
Je convoite l'étang mais je garde la tour
Il ne réglera plus les jeux de ton visage
Sur le vol des canards sauvages
Voyez il a changé de cygne entre deux pages
Pour troubler la face du jour
Le sang des nuits. - Seghers, 1966.
Reproduit dans l'anthologie de Bruno Doucey, Jean-Pierre Siméon,
Emmanuelle Leroyer et Anne Dieusaert :
C'était hier et c'est demain : 65 poètes disparus (Seghers, 2004).
Angèle Vannier
1917 - 1980. Devient aveugle à 22 ans. Écrit pour Édith Piaf (Le chevalier de Paris), réalise des émissions et des pièces de théâtre radiophoniques. Parmi ses autres recueils : Avec la permission de Dieu (Seghers, 1953) ; Théâtre blanc (Rougerie, 1970) ; Parcours de la nuit (Librairie bleue, 1978) ; Otage de la nuit (essai, Librairie bleue, 1978) ; Poèmes choisis : 1947-1978 (Rougerie, 1990).
"Angèle Vannier, aveugle, préserve tout de l'ombre. Merveilleusement" (Paul Éluard)
03:20 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3)
05/08/2010
Alain Guillard
La dernière fois que je le vis, il essayait de boire, désespérément de boire une dernière bière, essayait et ne pouvait, le ventre vite au bord des lèvres. Nous étions ensemble, rien que nous deux, dans la pénombre d'un soir d'été, dans l'appartement de sa mère, ma grand-mère, blonde qui vacille aux lèvres, lèvres rouges de clown. C'était la première fois depuis toujours que nous nous retrouvions ainsi, seuls, rien que nous deux, dans cette salle à manger où tant de fois depuis l'enfance et son divorce précoce d'avec ma mère. La première fois depuis toujours, mais je peux me tromper, n'importe, il n'en dira rien, et personne désormais.
C'était un dimanche de juin, le dimanche de la fête des pères, la denière fois que je le voyais, et je n'en savais rien. Dehors, il faisait tendre, un vrai coeur d'artichaud que l'écorce tendre du soleil, les rues, le long des jardins, sentaient fort le lilas et la glycine aussi, et tournaient les abeilles et bourdons avec une idée, une seule, derrière l'antenne. Il faisait tendre et doux et c'était la dernière fois que nous échangions des silences selon une lointaine habitude.
Ombre androgyne / choix et présentation de Jacques Morin. - Éditions Jacques Brémond, 2008. - 82 p.
Alain Guillard
Né en 1957. Parmi ses autres recueils : Lampes (Le Méridien, 1990) ; Dits du rapace (Encres vives, 1995) ; Confiances de l'enfance (L'Arbre à paroles, 1996) ; Lumières et interrogations du merle (éditions Jacques Brémond, 1997, Prix Voronca) ; La saison émaciée (Revue IHV - Interventions à Haute Voix, 1997) ; Actéon, la figure improbable (Épi de Seigle, 2002) ; Poursuite d'Actéon (Encres vives, 2004) ; Requiem (Encres vives, 2005).
Proses et récits : Quelque part un arc-en-ciel (Gros Textes, 2001) ; Autoportrait au miroir fêlé (Gaspard nocturne, 2001) ; Une vie renouée (Gros Textes, 2004).
Un autre extrait d'Ombre androgyne a été publié dans l'Année poétique 2009 (éditions Seghers, 2009).
04:40 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
03/08/2010
Valérie Harkness
reste à compter les losanges
de la cravate
avec les mots qui passent l'heure
ou les arbres de l'allée
du printemps à l'été
alors reste à compter
les rayures de la cravate
classique de l'homme au pantalon trop
court
des arbres
de la chute au fond de l'allée
les marrons
murs
chutent
et
les pensées
et les cris
de l'asile
s'y attendre
juste coller à la cravate
Sauve. - Coédition Gros Textes / Décharge
(collection Polder), 2010. - 64 p.
Valérie Harkness
Née en 1962, vit dans le nord de l'Angleterre où elle enseigne la pédagogie des langues vivantes. Précédents recueils : Doublure (coédition Gros Textes / Décharge, collection Polder, 2008) et Petite vie (éditions Chloé des Lys, Barry, Belgique, 2009). Collaboration à la revue lyonnaise Verso et à Chroniques errantes.
A paraître : Je glisse (superbe titre !), aux éditions Jacques André ( http://www.jacques-andre-editeur.eu/ )
03:37 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1)