17/03/2013
Claire Malroux
La femme sans paroles regarde la pluie
derrière le store baissé Les feuilles
baîllonnent les grilles, obstruent la gorge
Un couloir s'était ouvert tout à l'heure
parmi le murmure pressé des gouttes, comme
une foulée d'animal au creux de l'oreille
Les mots à présent battent en retraite
replient leurs corolles La soie du ciel
se déchire en un puzzle éclaté de flaques
Il faudrait tout reprendre à la lumière du premier jour
ramasser ces éclats gelés sous l'asphalte
réchauffer entre ses bras le dieu rompu
Osiris ou Orphée
La femme sans paroles, chaque musique la submerge
L'accent du pays natal l'obsède
L'ouïe la dévore
Lorsqu'elle se penche sur le puits de la voix
qu'espère-t-elle remonter de ce noir
où le caillou découpe des ondes de plus en plus lentes
et sourdes ?
Autour de ce no man's land
des forces sans étendards s'affrontent
Défaite ni victoire n'importent
seulement la durée à franchir sans déshonneur
Elle ne sait pas de berceuse pour
enjoler la douleur ni de rime en acier
pour la dompter Elle l'use comme un tapis
un fauteuil où choit le corps las
sous la lampe, un oreiller avec des auréoles
La mélancolie est son viager
La femme sans paroles. - Le Castor Astral, 2006. - 102 pages.
(extrait repris dans l'anthologie Couleurs femmes :
poèmes de 57 femmes
/ préface de Marie-Claire Bancquart,
éd. Le Castor Astral / Le Nouvel Athanor, 2010)
Claire Malroux
Née en 1935. Parmi ses autres recueils : Entre nous et la lumière (éd. Rougerie, 1992, sous le nom de Claire Sara Roux) ; Soleil de jadis (éd. Le Castor Astral, 1998) ; Reverdir (éd. Rougerie, 2000) ; Suspens (éd. Le Castor Astral, 2001) ; Ni si lointain (éd. Le Castor Astral, 2004) ; Traces, sillons (éd. José Corti, 2009).
Également traductrice, notamment des poètes Emily Dickinson, Wallace Stevens, Elizabeth Bishop et Derek Walcott (Prix Nobel de Littérature 1992).
Un essai sur Emily Dickinson : Chambre avec vue sur l'éternité (Gallimard, 2005).
12:35 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poème, poésie
Commentaires
J’ai aimé ce mots en touches de couleurs feutrées dans un tableau pointilliste et les fulgurances d’utopies "Il faudrait tout reprendre à la lumière du premier jour / ramasser ces éclats gelés sous l'asphalte" – avec plaisir je découvre et explore ce blog.
Jms
Écrit par : jms | 24/03/2013
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