31/10/2019
Chantal Dupuy-Dunier (4)
Au fur et à mesure que nous montons,
la végétation se raréfie.
Fougères, bruyères et genêts remplacent la forêt.
Le poème abandonne tout caractère urbain,
pourrait redevenir sauvage,
poème d'avant le poème.
Quel but pour l'itinéraire scriptural ?
Voyager à même les lignes
ou dérailler ?
Déplacer sans cesse le lieu du poème,
bousculer le texte,
l'empêcher de se fixer,
le priver de toute sécurité sédentaire.
* * * * *
Un train glisse
jusqu'à la mère,
jusqu'à son enfance et la mienne.
La rouille anticipe la couleur du sable.
(Au soir,
des pêcheurs feront sécher leurs filets
aux montants des wagons, sur quelque voie de garage,
et leur nuit sera bleue de poissons endormis.)
* * * * *
Toutes les vaches parlent sans doute
la même langue,
les arbres aussi
lorsque le vent leur donne la parole.
* * * * *
Corbeaux écrivant sur fond d'arbres nus
les quatre lettres qu'ils connaissent.
Troncs de bouleaux qui défilent derrière la fenêtre,
bûchettes blanches.
A l'école maternelle,
on composait des dessins avec,
naïves maisons, girafe ou chat,
un train.
Déjà invitée dans Poésiemaintenant les 12 mai 2006, 11 novembre 2007 et 21 janvier 2009.
17:17 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie contemporaine, poèmes, poésie, poète
29/01/2012
Bernard Vargaftig (1934 - 2012)
Poussière
Phrases soif soif
Où l'été s'ouvre
Où tu me touches
Et l'aveu terrible
Ce vent voici
Ta nudité
Un cri qui te cache
Et la falaise
Blanche et la mémoire
Comme tout chancelle
Près de la barque
In : revue Faire Part, n° 5/6, printemps 1985.
Bernard Vargaftig (1934-2012)
Parmi ses recueils : Chez moi partout ( éd. Pierre Jean Oswald, 1962) ; La véraison (Gallimard, 1967) ; Description d'une élégie (éd. Seghers, 1975) ; Orbe (Flammarion, 1980) ; Et l'un l'autre Bruna Zanchi (éd. Belfond, 1981) ; Sinon (éd. Atelier des Grames, 1984) ; Tout le monde le monde (éd. André Dimanche, 1994) ; L'inclination (éd. Atelier des Grames, 1994) ; Craquement d'ombre (éd. André Dimanche, 2000) ; Comment respirer (éd. Obsidiane, 2003) ; Trembler comme le souffle tremble (éd. Obsidiane, 2005) ; Ce n'est que l'enfance (éd. Arfuyen, 2008).
C'est Véronique Vassiliou, en 1989, qui m'avait fait découvrir Bernard Vargaftig. Le bonhomme, que j'ai rencontré une ou deux fois, avait une authenticité, une vraie modestie - pas du tout dans la frime, lui non plus, comme Gérard Augustin. Ces deux-là vont nous manquer. Nous manquent déjà.
On lira avec profit la thèse de Véronique Vassiliou : Le vers dans quelques-uns de ses états : André Du Bouchet, Bernard Vargaftig, Jean Tortel / sous la direction de Raymond Jean (Aix-Marseille 1, 1989).
Ainsi que : La poésie dans les soulèvements : avec Bernard Vargaftig / Serge Martin (éd L'Harmattan, 2001, collection Esthétiques).
Et : Actes du colloque de Cerisy-la-Salle, juillet 2008 / dir. par Béatrice Bonhomme, Serge Martin et Jacques Moulin (revue semestrielle Méthodes ! littératures française et comparée, n° 15, 2009 ; avec les poèmes de Bernard Vargaftig : L’énigme du vivant).
Sinon, consulter :
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2006/12/bernard_vargaft.html
http://lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/archive/2012/01/28/bernard-vargaftig.html
http://martinritman.blogspot.com/2012/01/bernard-vargaftig-nous-laisse-sa-vie.html
http://www.ccic-cerisy.asso.fr/bernardvargaftig08.html
04:55 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poème, poète, poésie
23/01/2012
Gérard Augustin (1942 - 2012)
L'obscurité douce opère des substitutions
autour du temple il y a un étagement
d'ombres plus légères que l'air que nous
respirons et nous aspirons l'obscurité
qui tombe de la voûte intacte pour rester
silencieux pour ne pas troubler les corps
déchus qui gisent dans l'herbe et
se mêlent aux blocs éparpillés l'obscurité
fait écran entre notre visage et notre respiration
mais nous l'aspirons parce qu'elle nous rend
la vie que nous risquions de perdre
en faisant le tour du temple à la recherche
d'une entrée plus lisible qu'une grotte
dans l'obscurité qui nous permette de nous
souvenir de la première fois où nous avons
vu le temple quand il n'était encore
qu'un écran dans la ville dressé au-dessus
des arbousiers et de l'unique oranger
qui donne des oranges dont on peut manger
la peau et la peau est un nouvel écran
entre l'obscurité et notre respiration
d'étagement inaperçu en arrière-plan
nous aspirons le souvenir qui nous relève
d'entre les morts ceux qui ont attendu
cette visite pour colmater les trous béants
dans l'herbe où devraient reposer des tambours
en surnombre nous dissimulons les coulisses
de l'obscurité lorsqu'elle frôle notre visage
et falsifie les traits auxquels nous tenions
plus qu'à l'écran chaleureux de l'obscurité
mais ce souvenir masque l'obscurité
que nous essayons d'étendre à nos pieds
devant les marches trop hautes comme si
nous devions en jouir à notre heure
qui n'est pas encore arrivée à notre
naissance plaquée sur la scène
comme si la perspective de notre visage
devait nous être restituée quand toute
l'obscurité sera sortie des actes de vie
qui s'agitent entre les colonnes trop droites
* * *
Nous longeons les tentes où s'abritent
les grévistes de la faim et nous n'avons rien
à leur donner même pas un sourire parce
qu'il fait trop sombre et notre visage est
caché par les feuillages et nous n'osons
insister alors que des policiers veillent et
recueillent tous les sourires et les formules
d'encouragement pour en faire un testament
indéchiffrable nous avons quitté notre père
dans les beaux quartiers et nous n'avons gardé
en réserve que le sourire qui accompagnait
le départ et la descente dans la nuit de la rue
nous avons souri à la nuit comme si nous
voulions ajuster à la lumière des réverbères
une image synthétique de nous-mêmes qui
nous empêche de nous joindre aux grévistes
de la faim dont nous ignorons la détermination
et la cause nous préférons bavarder avec les
silhouettes du déclin de la ville qui nous
accompagnent comme des animaux fidèles
en nous interdisant de prononcer les noms
qui pourraient être reconnus et pourraient
faire de nous les amis de ceux qui veillent
auprès des tentes des minuscules abris à
même le trottoir que nous ne finissons pas de
parcourir avec la légère culpabilité de ceux
qui ont aperçu la vérité l'espace d'un éclair
et ne cherchent pas à la communiquer
surtout aux visages irrépressibles et
neutres qui nous entourent d'un défilé de
mots soufflés en sourdine les mêmes mots
que nous avons entendus chez notre père
mais comme l'aboutissement d'un événement
qui n'a pas eu lieu parce que nous n'en
croyons pas nos yeux nous prenons les tentes
pour des abris d'alpinistes éperdus glissés
dans la ville par la même effraction qui
introduit les visages et nous réfléchissons à
tous les mots monotones et excités à la fois
qui nous viennent dès que nous avons dépassé
les tentes et regagné la lumière de la place
qui nous arrive par négligence comme le seul
événement que nous méritons la lumière
suffisante au calcul de la vie
Athènes dispersée parmi les fleurs /
photos de Julien Augustin ; présentation de Michel Cassir.
- éd. L'Harmattan, 2010 (collection Levée d'Ancre).
Gérard Augustin
Né en 1942, il vient de nous quitter le 20 janvier 2012.
Parmi ses autres recueils : Sans intention (éd. Atelier des Grames, 1970) ; Vies nouvelles (éd. Flammarion, 1979) ; Indes méditerranéennes (éd. Flammarion, 1984) ; Dragons (éd. Atelier des Grames, 1987) ; Sinon pour cette lumière (éd. Atelier des Grames, 1991) ; La fille de Roland (éd. Atelier des Grames, 1992) ; Dialogue avec la Sibylle au bord du lac Averne (éd. Digraphe, 1998) ; Le guide des égarés (éd. Digraphe, 1999) ; Le voyage de Lao-Tseu à Constantinople (éd. L'Harmattan, 2004) ; Nicosie (éd. L'Harmattan, 2008).
Nombreuses traductions de poètes grecs contemporains : Ntinios Siotis, Myrta Sessarego, Nanos Valaoritis, ...
Un hommage de Marc Fontana :
http://www.culture.paris-sorbonne.fr/placedelasorbonne/2013/01/07/pour-saluer-gerard-augustin-par-marc-fontana/
12:30 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : poéme, poésie, poète, athènes, temple, obscurité, grévistes de la faim