Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/07/2008

Vincent Wahl

 

Arbre gêné par la logique

 

Je suis le fils d'un chasseur-cueilleur du Kalahari

se régalant d'insectes

 

d'un habitant néolithique des marais

pêcheur de carrelets

mis à cuire enveloppés de feuilles

sous la cendre

 

d'une vendeuse d'empanadas en feuille roussie de bananier

brûlantes

derrière le marché d'oaxaca,

odeurs du cacao fraîchement moulu

que l'on mélange à volonté

de cannelle et d'amandes

 

le fils d'un éleveur d'onagres

d'un bûcheron piégeant les ours

avec des coins à fendre les grumes.

 

 

Je suis en somme le descendant quadrumane

de mes propres yeux écarquillés

le long du stipe d'un palmier à sucre

au bord de la Sé-kong

 

fils de ma convoitise

 

Et comme Caleb à l'est d'Eden,

ma mère est un cuisinier chinois

 

me nourrissant de chou saumuré,

par la Mère à peine donnée

aussitôt retirée,

mais l'autre, la vraie

 

à modeler de mes meilleures phalanges

 

langue, liant, mère des choix

de l'éveil

acceptant que se déchirent

les langes.

 

 

Il faut imaginer :

un petit garçon sur la grand-place de Wissembourg

 

compte à voix haute les morceaux de sucre

d'un paquet déficelé

compte en français

 

langue sévèrement interdite

de Reichsland.

 

 

Il faut imaginer la ruée mate

des coiffes noires

le message essoufflé de la voisine :

Katharina, Catherine,

ton fils compte les sucres en français.

 

Il faut s'imaginer descendre

en langue prohibée

 

de l'arbre à sucre.

 

 

Oeil ventriloque : rumines un. - Rhubarbe, 2008. - 87 p.

 

 

Vincent Wahl

 

Né en 1957. Autres recueils : Communauté des parlants (Cylibris, 2002) ; Tous les râteliers : rumines deux (Rhubarbe, 2009).

 

 

23/07/2008

Nicole Brossard

 

Nuque 11

 

je suis comme ça se prononce

langue ou guerre ou précoce

tantôt tournée vers le Nord

ses adjectifs de glace et d'actualité

tantôt phrase lancée libre

dans la lumière des rapprochements

je redeviens un morceau de temps

enfoncé dans notre espèce

 

 

Ardeur. - Phi, 2008. - 120 p.

 

 

Nicole Brossard

 

Née à Montréal en 1943. Parmi ses autres recueils : Installations (Castor Astral, 1989) ; Musée de l'os et de l'eau (Cadex, 1999) ; Au présent des veines (Phi, 1999) ; Je m'en vais à Trieste (Phi, 2007) ; D'aube et de civilisation : poèmes 1965-2003 (Typo, 2008).

Également romancière, essayiste et anthologiste.

 

 

19/07/2008

Zéno Bianu

 

même sombre même nocturne

ma musique vient du jour

elle est un hommage

à la lumière du jour

le jour en révèle

tous les pigments

je tombe dans le jour et je vois

le reflet tremblant des lampions

dans les flaques de néant

 

* * *

 

je descends voir

ce que les autres ne voient pas

tombé abandonné basculé cassé chu

défailli descendu

dévalé effondré

renversé abattu abîmé accompli envolé

éteint déposé succombé trébuché versé

jamais jamais

je ne serai

un objet de plus dans le monde

 

* * *

 

je joue au bord du silence

chaque note a sa pesanteur

son apesanteur particulière

je ne bavarde jamais

je n'aime pas le brio

le brio c'est toujours l'égo

et ses vieilles  lunes

je préfère jouer vers autrui vers l'autre

tendre sereinement mon coeur

oui ma musique s'envole vers autrui

c'est un art de l'envol quoi d'autre

 

* * *

 

je tombe

mais je monte comme un ange

je descends

jusqu'au fond du ciel

je ne sens

aucune douleur

aucune

la vie est vivante

si vivante

 

 

Chet Baker (déploration) / préface d'Yves Buin.

- Le Castor Astral, 2008. - 113 p.

 

Zéno Bianu

 

Né en 1950. Une trentaine de recueils, parmi lesquels : Manifeste électrique aux paupières de jupes (Le Soleil Noir, 1971) ; Mantra (Les Cahiers des Brisants, 1984) ; Poèmes et proses des ivresses, avec Vincent Bardet (Seghers, 1984) ; Connaissance de l'ombre (Passage, 1986) ; La danse de l'effacement, préface de Charles Juliet (Brandes, 1990) ; Fatigue de la lumière (Granit, 1991) ; L'atelier des mondes (Arfuyen, 1999) ; Infiniment proche (L'Arbalète Gallimard, 2000) ; Le battement du monde (Lettres vives, 2002) ; Suite pour Albert Ayler (Les Faunes, 2002) ; La troisième rive (Fata Morgana, 2004) ; Lâcher-prise, avec Simon Messagier (Le Temps Volé, 2007) ; Variations Artaud (Dumerchez, 2008).

Plusieurs anthologies, chez Albin Michel, Seuil et Gallimard : poésie chinoise, Indiens précolombiens, poésie contemporaine francophone, haïkus japonais, poètes du Grand Jeu, ...

Essais : Krishnamurti ou l'insoumission de l'esprit (Seuil, 1996) ; Sagesses de la mort (Albin Michel, 1999).

Théâtre : Mandala (France Culture, 1998) ; Orphée (2001), Constellation des voix (Maison de la Poésie, 2008). Traductions et adaptations de Lope de Vega, Miklos Szentkuthy, Marlowe, Brecht, Marian Tsétaïeva, Dostoïevski, ...