06/01/2016
Emmanuelle Sordet
Les enfants morts
Les enfants morts restent assis au bord des lits
La nuit.
Ils lisent
Leurs pieds pendent dans le vide
Ils cherchent la chaussette qui manquait.
Les enfants morts laissent leurs cahiers ouverts à la bonne page.
Ils ne se coiffent pas.
Ils récitent la liste des alignés
Dans le silence vivant
Personne ne les entend.
Les enfants morts entendent les chiens qui glapissent
Ils restent assis au bord des lits.
Les enfants morts ne font pas de bruit.
Les enfants morts racontent des histoires aux bébés emmaillotés de gravats.
Ils ratissent les arrière-cours.
Leurs pieds pendent dans le vide.
Les enfants morts donnent leurs yeux au mur
Et n'hésitent plus
Sur la photographie.
Ils sont dans les arbres au-dessus des soldats.
Ils cherchent leurs lunettes.
Les enfants morts visitent les prisons.
Les enfants morts ornent les dispensaires
Ils restent assis au bord des lits.
Les enfants morts dallent la Méditerranée
Ni mère
Ni suaire.
In : revue ARPA, n° 114, octobre 2015, p. 57.
Emmanuelle Sordet
Née en 1971. Première publication : trois poèmes dans le 114ème numéro de la revue Arpa (octobre 2015). Ont suivi : publications dans le 6ème et le 8ème numéros de la revue Place de la Sorbonne (mars 2016 et mai 2018), la revue numérique Recours au Poème (juin 2016) et le site de la revue Décharge ( https://www.dechargelarevue.com/Un-inedit-d-Emmanuelle-Sordet.html ). Elles seront probablement suivies de beaucoup d'autres.
Recueil à paraître début juin 2018 : Si jamais, éditions Au Pont 9 (Paris), préfacé par Pierre Dhainaut.
12:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poème, poésie, poésie contemporaine
31/12/2015
Cédric Le Penven
Dans le rouge de toutes les déchirures, mots
plantés dedans (couteaux dans la plaie, langue
projetée vers le gouffre, comme caméléon)
Guérir non merci et de toute façon le bonheur
me blesse aussi dans sa promesse de disparaître
bientôt avec les oiseaux migrateurs, avec les fruits
tombant sans qu'on les cueille, guérir non
je ne veux me départir de ce paquet de larmes
de ces dents acérées qui mordent sa hanche
ni de cette peau perméable aux autres et au monde
* * * * *
Parfois je me dis poète et cela me fait bien rire
ce gros mot pour expliquer, apprivoiser cet élan
cette manière d'habiter l'inhabitable d'une saison
de voir son visage dans les pierres trouées
non poète c'est une étiquette posée pour vendre
de la tripe de la colère délicieuse (le miracle du mot
qui extirpe et métamorphose les pays de la nuit
où l'amour et la mort s'embrassent goulûment)
* * * * *
Nuit de la pluie attendue
qu'exauce le désordre de ses cheveux
cherché et reconnu dans le labyrinthe des heures blanches
(demain nous agrandirons le verger, les fruits
de notre amour auront été épargnés par le gel)
poèmes initialement publiés
dans le 113ème n° de la revue Friches (mai 2013),
puis inclus dans le recueil
Nuit de peu. - éd. Tarabuste, 2015. - 112 p.
Cédric Le Penven
Né en 1980. Parmi ses autres recueils : Orage (éd. Éditinter, 2000) ; Elle, le givre (éd. Jacques Brémond, 2005, Prix Ilarie Voronca 2004) ; Île de Cythère, à l’aube (éd. Encres Vives, 2005) ; L’immobile serti de griffes (éd. Encres Vives, 2008) ; Menus travaux (éd. Tarabuste, 2009) ; Élégies barbares (éd. Rafaël de Surtis, 2010) ; Permettez que ma voix (éd. Contre-Allées, 2011) ; Adolescence Florentine (éd. Tarabuste, 2012) ; Bouche-suie (éd. Unes, 2015).
08:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie
24/12/2015
Mireille Fargier-Caruso (2)
Bien sûr l’indigence du dire mais
Perdure vive l'odeur de prune
Et dans l'oreille le claquement régulier
De la corde à sauter frappant le sol
Bruit de clé ouvrant l'enfance
C'est le matin
* * * * *
Ici et là la vie se glisse avec ses bruits d'eau
La goutte rouge du géranium perçant la pénombre
Coquillages vestiges lumineux du mois d'août
Livre abandonné sur la table
Semences qui tentent d'ébrouer l'insomnie
Un chant scandé par-dessus la pluie
Réponses toujours inappropriées
Ce qui reste de la beauté
Une éclaircie
Quelle échappée ?
* * * * *
Diminuer lentement
Amarré à tous les silences
Frayeurs à cisailler
l'une après l'autre
Pour pouvoir faire alliance
Et que naisse le fruit
Usé le ciel se renverse
Perché sur la gouttière
Prêt à tomber
Une pierre
Au fond d'un puits
* * * * *
Dans le jeu des éclats de bonheur
A la femme reconnue choisie aimée
Elle vole son sourire son prénom sa démarche
Elle est l'autre
Se colorie les ongles en rouge avec la craie
Aussi dans ses rêves lorsqu'elle se perd de vue
Très tôt il est question
De se perdre de vue
Un lent dépaysage. - éd. Bruno Doucey, 2015. - 86 p.
Mireille Fargier-Caruso
Née en 1946. Parmi ses autres recueils : Entre les points et la parole (éd. Le Cherche-Midi, 1981) ; Limites (éd. Le Pont de l'épée, 1984) ; Visage à édifier (éd. Le Méridien, 1988) ; Contre-ciel (éd. Le Pré de l'âge, 1990) ; Séquences au loin (éd. Poésimage, 1991) ; Heures d'été ou l'envers de l'ombre (éd. Arclettres, 1991) ; Blues notes (éd. Le Pré de l'Age, 1992) ; Lettre à L. (éd. Froissart, 1993) ; Même la nuit, persiennes ouvertes (éd. le Dé bleu, 1989) ; Dimanche, je vous aime (éd. Pré carré, 2001) ; Silence à vif (éd. Paupières de terre, 2004) ; Rendez-vous Septembre (bilingue français-grec, collages de Christos Makridakis, éd. Transignum, 2004) ; Ces gestes en écho (éd. Paupières de terre, 2006) ; Le don des arbres (peintures de Sarah Wiame, éd. Céphéides, 2007) ; Un peu de jour aux lèvres (éd. Paupières de terre, 2010).
Déjà invitée dans Poésiemaintenant le 1er mars 2008.
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie