07/04/2013
Anne de Szczypiorski (1955 - 1975)
Un pays d'aurore, et les fleuves gonflés sont bleus et silencieux. Ce ne sont que de tièdes et longues bêtes vivantes, sans gratitude, qui ne savent ni donner l'amour, ni recevoir. Des miroirs bombés et ovales, cerclés de pâleur, coupés de hampes lumineuses tremblent, alertes et funèbres, torrides doigts durs et effarés.
Ce sont aussi de longues fleurs orangées, enchantées de fontaines qui recueillent l'eau des fleurs qui se fanent et se réaniment changées, toutes changées et toutes pareilles, des fleurs lisses qui dansent, des flammes sèches, des flots couleur de cannelle, des ruisseaux compliqués au parfum d'herbe écrasée et de santal.
(...)
Entendez-vous ma lettre comme une plainte ? Ce n'est pas une plainte. J'en ai assez de me voir seule dans un monde qui ne me convient plus, quand je ne connais pas le monde qui m'irait à peu près, et j'abhorre ceux qui voudraient ma paix. Ma paix n'est en nul lieu, ni en moi-même.
(...)
Tous les devoirs sont personnels, nous n'avons pas de devoirs envers les autres. Loin de récuser la vie, il faut suivre jusqu'au bout son élan, dut-il nous briser, être dur, exigeant, implacable, refuser la plainte, affronter la certitude, même si on doit en mourir.
L'atmosphère est saccagée. - éd. de La Sirène étoilée, 2013.
- 70 p.
Anne de Szczypiorski
Née en 1955, elle s'est donnée la mort en 1975. N'ayant jamais rien publié de son vivant, elle laissait de nombreux écrits manuscrits. Il faut remercier Gilles Plazy et les éditions de la Sirène étoilée d'en publier, pour la première fois, un choix, 38 ans après sa disparition. J'y entends une voix soeur de celles d'Artaud, de Jacques Prével, de Loïc Herry - et d'une certaine Béatrice Douvre.
http://lasirene.etoilee.monsite-orange.fr/
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24/03/2013
François Charron
on s'installe au même endroit que la veille
des vitrines s'éclairent, d'autres s'éteignent
nous marchons tranquillement sur un fil qui n'est pas palpable
de très légers flocons s'évanouissent en touchant l'asphalte
à la télévision, on discute de la guerre entre deux publicités
l'atmosphère humide, sans que je m'en aperçoive, a coloré mes joues
le dehors est une maison dont on ne peut sortir
le vide de notre souffle ne nous aura jamais quittés
le vide de notre souffle n'est pas seul
quelqu'un se renouvelle au centre de nous-mêmes
L'intraduisible amour.
- Écrits des Forges / Le Dé bleu / L'Arbre à Paroles, 1991.
- 194 p.
François Charron
Né en 1952 au Québec. Parmi ses autres recueils : Le fait de vivre ou d'avoir vécu (éd. Les Herbes rouges, 1986) ; La beauté des visages ne pèse pas sur la terre (éd. Écrits des Forges, 1990) ; Le cri de la vierge (Écrits des Forges, 2007) ; Le coeur innombrable (éd. de L'Hexagone, 2009) ; Vocation de la perte (éd. de L'Hexagone, 2012).
20:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie
17/03/2013
Claire Malroux
La femme sans paroles regarde la pluie
derrière le store baissé Les feuilles
baîllonnent les grilles, obstruent la gorge
Un couloir s'était ouvert tout à l'heure
parmi le murmure pressé des gouttes, comme
une foulée d'animal au creux de l'oreille
Les mots à présent battent en retraite
replient leurs corolles La soie du ciel
se déchire en un puzzle éclaté de flaques
Il faudrait tout reprendre à la lumière du premier jour
ramasser ces éclats gelés sous l'asphalte
réchauffer entre ses bras le dieu rompu
Osiris ou Orphée
La femme sans paroles, chaque musique la submerge
L'accent du pays natal l'obsède
L'ouïe la dévore
Lorsqu'elle se penche sur le puits de la voix
qu'espère-t-elle remonter de ce noir
où le caillou découpe des ondes de plus en plus lentes
et sourdes ?
Autour de ce no man's land
des forces sans étendards s'affrontent
Défaite ni victoire n'importent
seulement la durée à franchir sans déshonneur
Elle ne sait pas de berceuse pour
enjoler la douleur ni de rime en acier
pour la dompter Elle l'use comme un tapis
un fauteuil où choit le corps las
sous la lampe, un oreiller avec des auréoles
La mélancolie est son viager
La femme sans paroles. - Le Castor Astral, 2006. - 102 pages.
(extrait repris dans l'anthologie Couleurs femmes :
poèmes de 57 femmes
/ préface de Marie-Claire Bancquart,
éd. Le Castor Astral / Le Nouvel Athanor, 2010)
Claire Malroux
Née en 1935. Parmi ses autres recueils : Entre nous et la lumière (éd. Rougerie, 1992, sous le nom de Claire Sara Roux) ; Soleil de jadis (éd. Le Castor Astral, 1998) ; Reverdir (éd. Rougerie, 2000) ; Suspens (éd. Le Castor Astral, 2001) ; Ni si lointain (éd. Le Castor Astral, 2004) ; Traces, sillons (éd. José Corti, 2009).
Également traductrice, notamment des poètes Emily Dickinson, Wallace Stevens, Elizabeth Bishop et Derek Walcott (Prix Nobel de Littérature 1992).
Un essai sur Emily Dickinson : Chambre avec vue sur l'éternité (Gallimard, 2005).
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