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01/10/2007

Bérengère Olive

 

A quoi ça tient, tout ça

 

 

Hier dans la rue, un homme marchait, qui avait mis ses plus beaux gants de ménage pour sortir. Ceux qui sont roses. Il y avait tant de brisures sur le trottoir, enjamber, décaler le pas pour que toujours la pointe du soulier repose au-delà de la ligne de crête, c'était impossible. Changer de route, alors, plonger dans les profondeurs et prendre le métro qui lui circule sur des rails en continu, voilà la solution. Une tête de mort fumait le cigare sur le panneau d'annonce de la RATP, est-elle là depuis longtemps ? Comme l'homme aux gants de ménage ?

 

Il n'y a pas de ligne droite, juste des zigzags éreintants. Étonnant de penser comme la route est difficile, heurtée de ces multiples changements de direction, comme systématiquement condamnée à finir en cul-de-sac. Avancer, avancer encore mais sans jamais arriver nulle part, avancer pour mieux reculer ou contourner, avancer pour rien. Mais tout de même, avancer. Que les jambes s'activent, que les muscles tiraillés  balancent sur le mouvement à exécuter, pas si simple en fin de compte. On marche comme on pense : en aveugle. Un homme avec des gants de ménage, une tête de mort qui suce son cigare, rien que de très normal, pas vrai ? Puisque la pensée ne crée rien, puisqu'elle engendre encore moins que le mouvement physique. Puisqu'elle persiste à s'estimer damnée de ne pouvoir éviter les zigzags que le corps choisit d'absorber. Tout est étrange, partant, plus rien ne l'est. Si on s'écorchait ? Juste pour voir les muscles, et les nerfs, et les tendons blancs qui tressaillent, la palpitation invisible de la matière en souffrance ? Peut-être que c'est ce qu'il a fait, cet homme aux gants roses. Peut-être que sous la pellicule de latex, ses chairs à vifs miment le mouvement imperceptible de la pensée qui tourne en rond. Peut-être que je m'égare tout en marchant, blessée de ce pas dont je ne maîtrise pas le sens, infiniment lasse d'être esclave de mon corps.

 

Peut-être qu'il n'y avait aucun homme, sur le trottoir, tout à l'heure. Et pas de tête de mort non plus. Rien vu de réel, tout imaginé, c'est possible que le monde ne soit que la somme de nos perceptions ? Il faut les tracer, alors, les limites de soi, et pas à la craie, mais en douleurs construites, avant que tout ne s'efface. Il faut vivre.

 

 

 

Extrait du blog A toi (lien ci-contre), 2007.

 

 

 

Bérengère Olive

 

Née en 1976. Ne publie pour l'instant que sur son blog : http://ame.hautetfort.com/

(Si je puis me permettre un conseil, peut-être un pronostic ? : cela ne devrait pas durer.)

 

 

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