15/07/2008
Siham Bouhlal
Mon être ouvre ses plaies pour y tailler
d'autres plaies Il ne sait où va
s'épaissir son sang
Mon être Buisson d'épines qui se
mutile encore Dans ses ténèbres éteint
les cierges et brise les éclairs
Une douleur gisant dans tes mots
décharne ma joie Fracasse ce souffle
qui se porte vers toi
Tes yeux ne me reconnaissant plus
Tes mains devenues absence revêtent
mon corps d'une robe de braises
Où partir quand mes pas me mènent
vers toi Quand ma fragilité en toi
a trouvé refuge Que mes blessures
par tes caresses s'aguerrissent ?
Dans quel silence m'anéantir quand
l'Univers dit ton nom ?
Tu ne veux de mon amour les
inquiétudes Comment arracher les
pages d'un livre scellé par toi ?
Comment entraver le mouvement
de mon âme voyant un autre visage
de ta joie ?
Quel pacte est donc plus vrai
que ton être couché en moi ?
Quelles lignes voudraient
de mon amour tracer les frontières
quand l'Univers ne le contient ?
Quel papyrus saurait renier mon être
quand je suis née de toi ?
Quand tu m'as redonné la foi
quelle force pourrait faire trembler
mon regard sur toi ?
Ma tête voudrait être tranchée par ta
main au lieu de reposer sur un autre
bras
Songes d'une nuit berbère / dessins de Diane de Bournazel.
- Al Manar, 2007. - 88 p.
Siham Bouhlal
Née en 1966 à Casablanca. Autre recueil : Poèmes bleus (Tarabuste, 2005).
Traductrice de textes médiévaux (Le livre de brocart ou la société raffinée de Bagdad au Xe siècle, Gallimard, 2004) et de poésies arabes classiques et modernes (Pour une altérité féconde, Institut du monde arabe, 2003).
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11/07/2008
Jacques Josse
Mentir apaise sa douleur. Les yeux plongés dans les auréoles de gasoil qui colorent le bassin, il affirme soudain (les voisins baissent la tête) que l'an passé, à la Toussaint, pour sauver l'âme du péri, pour que les gens du fond l'invitent (où qu'il se trouve) à s'asseoir autour des tables de pierre, il s'est décidé à quitter l'anse de Gwin-Zegal pour se rendre aux îles Sulawesi. Là-bas, vit une sorte de fée des mers. Il lui devait une offrande. Après avoir versé deux doigts de rhum sur un buisson de corai, (il ne ment plus : il est même persuadé d'avoir réalisé cela) il a mis à l'eau et fait se diriger vers elle une noix de coco percée avec à bord des lamelles de mangue, du tabac, du manioc, des pétales de roses et une bougie allumée par le briquet du défunt.
* * *
Pas loin, le père, ses doigts tremblent entre des photos sorties d'une vieille boite en fer, peinte au rouge sang de boeuf, murmure, à peine audible, l'arthrose ayant déjà gagné ses mâchoires, là c'est lui, le jour où son oncle lui a ramené un perroquet d'Afrique. Il pose assis et souriant, l'oiseau multicolore à sa droite, sur le mur près du perchoir. N'a pas encore la tête ravagée qu'on lui connaîtra deux ans plus tard, quand il rentrera dans la cuisine en marmonnant qu'il n'en pouvait plus, qu'il a fini par actionner la poulie avec la corde et le seau au bout, envoyant, ficelé dedans, le braillard d'Accra insulter l'eau croupe au fond du puits.
Sur les quais. - TraumfabriK, 2007. - 41 p.
Jacques Josse
Né en 1953. Parmi ses autres recueils : Fissures (Amériane, 1979) ; Tachée de rue la blessure (Castor Astral, 1979) ; Fabrique (Dé bleu, 1981) ; Deuxième tableau (Castor Astral, 1983) ; Talc couleur océan (Table Rase, 1987) ; Des voyageurs égarés (Écho des brumes, 1994) ; Le veilleur des brumes (Castor Astral, 1995) ; Des étoiles dans le coeur (Dana, 1997) ; Vision claire d'un semblant d'absence au monde (Apogée, 2003) ; Un habitué des courants d'air (Cadex, 1999) ; Café Rousseau (La Digitale, 2000) ; Ombres classées sans suite (Cadex, 2001) ; La mort de Grégory Corso (La Digitale, 2001) ; Lettre à Hrabal (Jacques Brémond, 2002) ; Bavard au cheval mort et compagnie (Cadex, 2004) ; De passage à Brest (La Digitale, 2004) ; Les buveurs de bière (La Digitale, 2005).
Essai : Jules Lequier et la Bretagne (Blanc Silex, 2001).
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29/12/2007
Anne Stell
Homme
Homme aux yeux de colline ouverts sur la permanence des jours, ton regard abreuve les ruisseaux taris par le passage des bêtes sauvages.
Tu es la source du mot, incandescence de toute parole, lèvres ouvertes sur la persistance des saisons.
A même la pierre des rochers s'inscrivent les langues de l'univers.
Nul sentier n'ignore ta présence car tu perpétues la naissance même de l'être.
Homme de feu et de sang aux parcours d'hirondelles sous les fenêtres pourprées du jour, homme de hanches et d'étreintes aux contours incertains de la nuit, tu avances dans le ventre marécageux du fleuve.
A la courbure des joncs, tu mesures et démesures la vitesse du vent.
Tu dis les mots embusqués dans les taillis enténébrés. La musicalité de ton chant épelle des syllabes muettes. Tu respires à la césure du temps, au diapason de ta solitude, de notre solitude.
Homme de vent et de mémoire, les moulins déroulent l'espace de leurs ailes striées.
A l'approche des orages, tu lies les gerbes et les engranges pour les jours de famine, homme de plaines et de terres fertiles en blés.
Tu allumes des feux de silex aux margelles du soir pour dissuader les animaux nocturnes. La peur hante ton esprit et tu dors sur ta hache de pierre. Tes rêves sont pleins d'odeurs de chasse et de chiens sauvages que tu tentes d'aprivoiser.
La pluie et le vent n'arrêtent pas ton geste de durer.
Homme d'écoute tu fréquentes les temples secrets de ta mémoire. Les sorciers appellent la pluie sur les terres desséchées et les autels s'ornent de fleurs fragiles comme le grain du ciel.
Soudain l'éclaircie retrace les chemins anciens.
Tu parcours les sentiers ébréchés de sources fraîches où tu ravives ton corps assoiffé de clarté.
La nuit tombe sur toi si tu n'y prends garde et la forêt de secrets et de présages libère alors ces pouvoirs que tes ancêtres redoutaient.
Tu interroges les sorciers, les astres, tu sacrifies sur les autels certains des animaux que tu captures. La mort te guette à chaque pas et tu marches dans la conscience de durer.
Homme en lutte perpétuelle avec le néant.
Il suffit de ton regard acéré comme une lame tranchante.
Les animaux te craignent même ceux que tu apprivoises et enfermes dans des cages toujours trop étroites semblables à ces prisons où les êtres humains désertent le réel.
Publié dans le 6ème numéro
de la revue défunte Linea (été 2006).
Anne Stell
Née en 1947. Recueils : Interstices du temps, en collaboration (Les Herbiers d'images, 1997) ; L (Hélices, 2005).
Anime les soirées poétiques Territoires du poème (Paris 6e).
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