11/12/2012
Albert Fleury
Rétive profondeur des chambres
aux recoins sombres inquiétés.
Après la brûlure de l'instant
on aimerait la pénombre sobre des peupliers
ou la plus reculée fraîcheur
du ruisseau sous les joncs.
La pierre est muette,
l'âme ouverte,
quelquefois on perce le mur où tout est derrière,
un sens entrebaillé.
Ne plus savoir où aller
oubliant même les choses
pour un autre espace
une autre terre.
Tu ne laisseras qu'une éphémère semence,
les vocables devant toi pâlissent
et pourtant les plus pauvres dansent
et savent créer l'illusion.
Des spectres bâtissent notre monde,
des os craquent la nuit sous nos pas,
on croit que ce sont des cailloux morts.
J'étouffe, ouvrez la solitude.
Encore un essaim d'instants. - éditions Folle Avoine, 2009.
- 30 pages.
Albert Fleury
1923-2006. Parmi ses autres recueils : Instants (éd. Millas Martin, 1966) ; Osier des tendresses (éd. Chambelland, 1969) ; Rêveur de jonquilles (éd. Chambelland, 1973) ; Colombier du regard (éd. Chambelland, 1976) ; Campagne compagne (éd. de L'Arbre, 1981) ; Porte basse au linteau d'énigme (éd. Chambelland, 1983) ; Rumeur des rosées (éd. La Bartavelle, 1986) ; Braconnier du silence (éd. Folle Avoine, 1992) ; Demeure la ferveur (éd. de L'Arbre, 1992) ; Village vert paroles (éd. Folle Avoine, 1997) ; Bribes d'homme pour un paysage (éd. Folle Avoine, 2002) ; Claire-ombre d'amour (éd. Tarabuste, 2006).
L'un des cofondateurs de la revue ARPA (Clermont-Ferrand).
Pour en savoir plus : http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Albert_FLEURY-277-1-1-0-1.html
12:55 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poème, poésie
14/10/2012
Eve Lerner
En ce temps-là,
l'appel de la rivière se faisait trop pressant
et la forêt trop verte et les enfants
envoyés dans les champs de mine
laissaient un trou
comme une lance dans la poitrine.
Les hommes avaient le Moyen-Age dans la tête
et du reptilien dans les gonades :
dès que je leur disais une parcelle de vrai
ou que je leur offrais une facette de ma vision
ils clignaient des yeux sous la lumière
puis s'agitaient de pulsions meurtrières.
Les femmes étaient encore exclues
de la course spatiale même si elles connaissaient
leurs galaxies, leurs nébuleuses à la perfection.
En ce temps-là,
seuls les riches pouvaient jouir
des subtilités de la démocratie occidentale.
En ce temps-là
j'étais pauvre
et je jouissais de mon âme.
Le monde tel que je l'ai laissé.
- éd. L'Autre Rive, 2010. - 96 p.
Eve Lerner
Née en 1949. Parmi ses autres recueils : L'autre rive : The Other Shore (éd. Mama Press international, 1985) ; A capella : je vous dirai mon rêve (éd. L'Autre rive, 2005) ; J'aimerais (éd. Mona Kerloff, 2006) ; Singularités (éd. L'Autre Rive, 2009) ; Le chant vient de plus loin que l'homme (éd. L'Autre Rive, 2010) ; Les états du silence (Atelier de Groutel / éd. J. Renou, 2012).
A préfacé La brûlure des mots, recueil de Jean-Paul Kermarrec paru en 2006 aux éditions de L'Arbre à Paroles (Amay, Belgique).
Collaboratrice régulière de la revue Hopala ! : http://www.hopala.asso.fr/
Pour en savoir plus : le dossier Eve Lerner du 17ème numéro (2011) de la revue Spered Gouez / L'Esprit sauvage (Carhaix).
00:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : poésie, poème, poésies, poèmes
08/08/2012
Olivier Hobé
12.VIII.07, bar de La Fresnerie, Vendée
(...)
Parfois Q. s'enfonce dans sa tumeur, la peur semblant alors y être chevillée. Il oscille entre impuissance et soumission. Cependant, l'exaspération qui fait naître la rebellion n'est jamais loin, qui ne sait contre qui ou quoi s'exercer.
Sa douleur passe dans la mienne : il me faut vite l'apprivoiser avant de la lui rendre moins sauvage, comme apaisée, pur jus de fruit pressé entre mes mains. Aussi, lorsqu'on nous a annoncé son cancer, et sans doute pour exciter notre imaginaire qui s'effondrait alors, on nous a dit qu'il avait une orange dans le ventre.
Tuer un cygne est sacrilège (Parsifal).
(...)
30.IX.07
Au lever du soleil la lumière est d'un jaune mûrissant. François Boulic, mon héros du moment, entame son dernier voyage.
Il manque encore quelque chose à son parcours, il est vrai qu'il ne fait pas carrière, et j'ai écarté l'idée de le croire entroupé. Il vit dans une sorte de méditation violente, fondu enchaîné à des laies interminables. D'un sonneur rustre et aviné, j'ai fait un poète russe dont le monde ancien s'écroule. Je mêlerai à nouveau, avant la chute, cette dernière traversée de lui-même avec les souvenirs de son enfance. Je suis le revenant de ce type lui-même alors revenu de tout.
Eu longuement le Bidurig au téléphone il y a deux nuits. Les discours des enfants qui n'ont pas l'habitude de beaucoup parler sont les trésors de leurs pères. Je hais les bavards, enfants y compris. C'est là que les tendres taiseux se révèlent bleus saumons remontant les rivières argentées du réseau mondial des ondes.
Toujours pas découpé La presqu'île (1), mais j'ai relu les russes chassés de leur cerveau, rassemblés par Armand Robin (2), je suis aussi entre deux actes d'Ondine (3), celle-ci n'a pas mangé depuis deux jours, le texte apparemment pas davantage, même si ça m'a fait sourire, ici où là.
Je réfléchis au PAM (4) et au POUM (5). Pif paf, la tumeur s'écroule sous les coups du tonnerre de Brest. L'espoir, ça ce construit n'est-ce pas, mais sur quel marais, sur quelle féodalité ? On me dit que Q. attend que l'aiguille tremble du côté de la vie. Son calme apparent face à l'adversité de l'inconnu ne cesse de m'impressionner. Chapeau bas. Toujours les crinières des chevaux légers renaissent à leur course originelle. Oui, bas, jeune homme, j'allais dire sous terre, et je me surprends à sourire, c'est bon, me dis-je.
(1) Julien Gracq, La presqu'île, Paris, Corti, 1970.
(2) Armand Robin, Quatre poètes russes, Cognac, Le Temps qu'il fait, 1985.
(3) Jean Giraudoux, Ondine, Paris, Grasset, 1980.
(4) Programme alimentaire mondial.
(5) Partido obrero de unificacion marxista, Espagne 1935.
(...)
26.VI.08, bar Le Dis-moi tu, Châteaulin
(...)
Une femme en forme de boule porte un pain rond. La tranchera-t-on ? Une autre n'a pas défait son paquet-cadeau oublié sur la banquette, je remarque aussi le drapeau norvégien collé sur la lunette arrière de sa voiture blanche. Il paraît d'ailleurs que là-bas, les fjords rougissent quand on les embrasse.
Je respire du Quentin, sa maladie me bouffe, m'envahit, je le sens, je le renifle, il n'a jamais été si proche de moi. On me regarde écrire. Dans un café, on se rend compte de la solitude des loutres. Il me semble être l'une d'entre elles.
Le journal d'un haricot. - éditions Apogée, 2011. - 54 p.
Olivier Hobé
Né en 1966. Parmi ses autres recueils : Autrement semblable (éd. Quimper est poésie, 1992) ; Carène (éd. Blanc Silex, 1999) ; Quelques phases critiques d'une géographie à bout de souffle (éd. Gros Textes, 2002) ; En pièces (éd. Le Chat qui Tousse, 2004).
Anime à Quimper la revue Trémalo qu'il a créée en 2006.
17:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, poème, enfant, maladie, attente