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03/02/2010

Judith Chavanne

 

 

Lente descente d'une feuille

depuis le sommet du vent,

longtemps sa chute

dans le temps, qui n'a pas de suite,

il est vertical

comme un sommeil de plomb :

un homme paît son heure

s'y enfonce, obscurément,

il se tait, assis, dans le demi-jour,

il a renoncé sans mal

à l'avenir de ses paroles ;

peu à peu la feuille tombe, chute

presque audiblement

en son écoute.

 

 

Un seul bruissement

(suivi de : Les aînés, ceux qui les suivent).

- Le Bois d'Orion, 2009. - 139 p.

 

 

Judith Chavanne

 

Née en 1967. Parmi ses autres recueils : Entre le silence et l'arbre (Gallimard, 1996, Prix de la Vocation, Prix Louise Labé) ; La douce aumône (Empreintes, 2002) ; Le don de solitude (L'Arrière-Pays, 2003). Un essai : Philippe Jaccottet, une poétique de l'ouverture (Seli Arslan, 2003).

 

 

30/01/2010

Bruno Doucey (2)

 

HAÏTI, 2010

 

 

en hommage à Georges Anglade et son épouse,

morts à Port-au-Prince ce 13 janvier 2010.

 

 

 

Je pars pour un voyage que nous ne ferons pas

 

Dans l’entrée ma valise humait le vent du large

En elle bien rangés linge, cadeaux et livres

Écoutaient sagement les pulsations du cœur

Qui partait vous rejoindre

Et vous nous attendiez

Comme la nappe sans un pli attend la fête

Où tinteront les verres de nos aînés rieurs

 

Mais la terre a tremblé

La terre s’est ouverte, des cisailles d’acier

Ont libéré le tigre qui dormait sous la roche

Son grognement de fauve a réveillé vos peurs

En soixante secondes le temps s’est effondré

 

Dans le fracas de l’ombre

Sa ruée de malheurs

Vos maisons dévastées

 

En soixante secondes

Sa huée de douleurs

Vos proches démembrés

 

La terre qui vous mange comme on mange la terre

 

Sous nos yeux sidérés des femmes et des enfants

Implorent le secours

Anéanti

On meurt à Port-au-Prince et l’on pleure à Paris

 

Port-au-Prince, douze janvier de l’an de casse

Deux mille dix

Pétionville, Cité-Soleil, Champ-de-Mars où les tap-taps sont détruits

Delmas, nuit d’effroi, dans l’entre chien et loup

Des morts et de la vie

Quand les ondes s’emparent de la transe vaudou

 

Votre île sous le vent promise à la déroute

 

Dans la baie de Jacmel où lézarde la route

D’une amitié conquise sur les terres arables

La maison du poète dévale à grand fracas

La pente du désastre

 

Et je suis là, valise en main

De l’autre côté de la mer, dans l’incendie des dépêches

Parti pour un voyage que je ne ferai pas

 

Sous la toile, d’autres que moi fouillent déjà

Les décombres de l’info

Émmelie, où êtes-vous, Gary et Marinio ?

 

Longues heures d’angoisse

Tellurique

Des gravats du silence nous retirons des noms

- Lolo, James et Dany, Kettly, Lyonel et Frank -

Comme des nourrissons soudain sauvés des eaux

Quand tant d’autres se noient aux portes de la terre

 

Mais nous sommes si loin

 

Dans le Bas-Peu de Choses de l’entraide

Par les rues dévastées de la compassion

Désarmés, incertains

Inaptes à soulager vos peines

Nous supplions les dieux de vous garder en vie

 

Nous implorons le vautour du malheur

D’interrompre son vol de colline en colline

 

Notre mère, bogue terrestre, viens reprendre l’enfant

Jeté sans retenue sur le parvis du monde

Concède-lui le temps de la douceur humaine

Le temps de l’eau, du pain et des fruits pour chacun

 

Mère terrestre, toi qui connais la lente érosion des jours par la nuit

Ne nous bouscule pas

 

Laisse nous rêver des séismes de la tendresse

Et fais monter le chant de mansuétude

Au plus haut de l’échelle trémière

 

Pour que naisse l’espoir de ton ventre meurtri.

 

 

(inédit, 14 janvier 2010)

 

 

Bruno Doucey

 

Né en 1961. Poète (Poèmes au secret, Le Nouvel Athanor, 2006), nouvelliste (La Cité de sable, Rhubarbe, 2007), romancier (Victor Jara, Federico Garcia Lorca, Actes Sud, 2009 et 2010), éditeur (R. Laffont, Seghers, ... et l'aventure continue !)

Déjà invité dans Poesiemaintenant le 17 février 2007.

 

 

 

11/09/2009

Linda Maria Baros (2)

 

Comme un continent englouti par les eaux

 

 

Mon pays était comme un continent englouti

qui flottait dans l'air poussiéreux,

tel un mort dans la lumière de l'après-midi.

 

Les pères étaient rares,

comme des coquilles qui avaient transpercé

la peau altière, rocheuse, des montagnes.

 

Les mères étaient effilées comme une larme ;

les larmes tombaient, rasantes et drues,

et emportaient les mères dans la terre.

 

Mon pays - il y a des hommes qui l'aiment

de l'amour passionné des vers

pour la plaie ouverte qui les engraisse.

 

Mon pays - qui me prenait sur ses genoux,

qui me caressait la tête,

qui éteignait ses cigarettes contre mon front.

 

 

L'Autoroute A4 et autres poèmes.

- Cheyne éditeur, 2009. - 65 p.

 

 

 

Linda Maria Baros

 

Née en 1981 à Bucarest. Cinq recueils de poèmes, dont trois en français, parmi lesquels : Le livre de signes et d'ombres (Cheyne, 2004, Prix de la Vocation) et La maison en lames de rasoir (Cheyne, 2006, Prix Apollinaire 2007).

Traductrice d'une vingtaine de livres, en roumain (Michaux, Boris Vian, Guy Goffette, Colette Nys-Mazure, Johanna Spyri, ...) et en français (Nichita Stànescu, Mircea Bàrsilà, ...) Organisatrice du festival Le Printemps des poètes en Roumanie. Fondatrice et directrice de la revue littéraire VERSUs/m (Bucarest, 2005).

Déjà invitée dans Poesiemaintenant (1er décembre 2007).

Pour en savoir plus : http://www.lindamariabaros.fr/