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08/10/2007

Florence Pazzottu

 

Petite, lorsqu'à ma mère je demandai si elle m'aimait également quand contre moi elle s'emportait, elle répondit, troublée, qu'elle m'aimait également, que seulement peut-être elle oubliait qu'elle m'aimait ; sa réponse, fragile, fraya en moi un doute assez ferme pour y établir mes fondations, qui durent encore ; jamais je n'oubliai l'oubli possible de tout amour, ni la nécessité de se tenir au plus près de ce doute - à flanc de perte mais sans tomber - pour être au plus près de l'amour.

 

 

Petite. - L'Amourier, 2001. - 58 p.

 

 

Florence Pazzottu

 

Née en 1962. Parmi ses autres recueils : Les heures blanches (Manya, 1992) ; L'accouchée (Comp'act, 2002) ; L'inadéquat : le lancer crée le dé (Flammarion, 2005) ; La place du sujet : carnet du Panier (L'Amourier, 2007).

Un long texte, L'impossible (une archéologie), publié sur le site Inventaire/invention (lien ci-contre).

Animait la revue Petite (19 numéros, de 1995 à 2005).

 

 

05/10/2007

Gwen Garnier-Duguy

 

Sainteté je marche vers toi

 

A Pauline

 

 

Le jour se lève. Je marche. Mon corps porte les traces séchées du continent européen. Ses peuples se dressent dans mes jambes. Les innombrables mains retournées à la terre courent sur mes épaules, me soutiennent, espèrent que je conduise les élans qu'elles me donnent vers la certitude. Je marche. Je parle l'ancien français. Je parle le latin. Ma langue sait le grec. Me voici traversé par la Loire. Me voici traversé par le Rhône. Par le Tigre et l'Euphrate et le Nil. Je marche. Ma mémoire se baigne dans l'eau du Jourdain. Je suis sur le qui vive. Mon refus de ne pas marcher comme un prince sur le fil sécurisant du rasoir connaît le doute. Le doute rentre en moi. L'horreur économique me donne des palpitations. La corruption dévore la prunelle de mes yeux. Je sais que je peux tuer. Mon regard s'accroche à la voile triangulaire et blanche qui pénètre l'horizon. Je marche. A chaque seconde, je pousse l'Icare à s'élancer dans le ciel de mon corps. Mes bras me sont poussés pour que j'embrasse l'extraordinaire vie. Je marche. Je crois en Dieu. Comment le nommer aujourd'hui ? J'écrase le doute sous la marche de mon pas ferme. Je suis la route que le phare de mon front m'indique. Le sang ruisselle par les pores de ma peau. Le sang fait un cercle parfait à travers les prairies de mon corps. Mon sang est rouge comme le ciel. Le ciel est accroché à mes épaules et flotte en cape dans mon élan. Je marche. Je donne un regard de compassion aux tricheurs qui tentent de cimenter mes oreilles. Aux chants mensongers, j'accepte de serrer les mains. Je marche. je marche dans le flux du monde. Je remplis mes muscles de l'énergie que m'injectent les plombeurs de vie. Je marche. J'emprunte les escaliers qui ont été abolis. Je respire la glorieuse musique des pyramides. Derrière mes pas, la floraison des arbres morts jaillit. Je marche, le regard fixe, vers la plus vaste constellation de mon ciel azuré. Je marche dans la pureté de sa musique qui m'élève. Sans aucun doute, voici la plus haute cime de mon espérance. Sainteté je marche vers toi.

 

 

Publié dans le n° 18 de la revue Supérieur inconnu

(printemps-été 2000).

 

 

 

Gwen Garnier-Duguy

 

Né en 1972. Poèmes publiés dans les revues Supérieur Inconnu, Sarrazine, La Sœur de l'Ange, POESIEDirecte. Collabore à de nombreuses revues et journaux en tant que critique littéraire, notamment la Revue des deux Mondes. A participé en 2003 au colloque consacré au poète Patrice de La Tour du Pin au Collège de France. Fasciné par la peinture et le monde des images, collabore au catalogue Auguste Chabaud publié par la Réunion des Musées Nationaux.

Un roman, Nox, en collaboration avec Néro, sur l'œuvre du peintre Roberto Mangù (éditions le Grand Souffle, 2006).

 

Pour en savoir plus, le site : http://verslaseine.hautetfort.com/   (lien ci-contre, colonne de gauche).

 

 

 

 

 

01/10/2007

Bérengère Olive

 

A quoi ça tient, tout ça

 

 

Hier dans la rue, un homme marchait, qui avait mis ses plus beaux gants de ménage pour sortir. Ceux qui sont roses. Il y avait tant de brisures sur le trottoir, enjamber, décaler le pas pour que toujours la pointe du soulier repose au-delà de la ligne de crête, c'était impossible. Changer de route, alors, plonger dans les profondeurs et prendre le métro qui lui circule sur des rails en continu, voilà la solution. Une tête de mort fumait le cigare sur le panneau d'annonce de la RATP, est-elle là depuis longtemps ? Comme l'homme aux gants de ménage ?

 

Il n'y a pas de ligne droite, juste des zigzags éreintants. Étonnant de penser comme la route est difficile, heurtée de ces multiples changements de direction, comme systématiquement condamnée à finir en cul-de-sac. Avancer, avancer encore mais sans jamais arriver nulle part, avancer pour mieux reculer ou contourner, avancer pour rien. Mais tout de même, avancer. Que les jambes s'activent, que les muscles tiraillés  balancent sur le mouvement à exécuter, pas si simple en fin de compte. On marche comme on pense : en aveugle. Un homme avec des gants de ménage, une tête de mort qui suce son cigare, rien que de très normal, pas vrai ? Puisque la pensée ne crée rien, puisqu'elle engendre encore moins que le mouvement physique. Puisqu'elle persiste à s'estimer damnée de ne pouvoir éviter les zigzags que le corps choisit d'absorber. Tout est étrange, partant, plus rien ne l'est. Si on s'écorchait ? Juste pour voir les muscles, et les nerfs, et les tendons blancs qui tressaillent, la palpitation invisible de la matière en souffrance ? Peut-être que c'est ce qu'il a fait, cet homme aux gants roses. Peut-être que sous la pellicule de latex, ses chairs à vifs miment le mouvement imperceptible de la pensée qui tourne en rond. Peut-être que je m'égare tout en marchant, blessée de ce pas dont je ne maîtrise pas le sens, infiniment lasse d'être esclave de mon corps.

 

Peut-être qu'il n'y avait aucun homme, sur le trottoir, tout à l'heure. Et pas de tête de mort non plus. Rien vu de réel, tout imaginé, c'est possible que le monde ne soit que la somme de nos perceptions ? Il faut les tracer, alors, les limites de soi, et pas à la craie, mais en douleurs construites, avant que tout ne s'efface. Il faut vivre.

 

 

 

Extrait du blog A toi (lien ci-contre), 2007.

 

 

 

Bérengère Olive

 

Née en 1976. Ne publie pour l'instant que sur son blog : http://ame.hautetfort.com/

(Si je puis me permettre un conseil, peut-être un pronostic ? : cela ne devrait pas durer.)