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19/07/2008

Zéno Bianu

 

même sombre même nocturne

ma musique vient du jour

elle est un hommage

à la lumière du jour

le jour en révèle

tous les pigments

je tombe dans le jour et je vois

le reflet tremblant des lampions

dans les flaques de néant

 

* * *

 

je descends voir

ce que les autres ne voient pas

tombé abandonné basculé cassé chu

défailli descendu

dévalé effondré

renversé abattu abîmé accompli envolé

éteint déposé succombé trébuché versé

jamais jamais

je ne serai

un objet de plus dans le monde

 

* * *

 

je joue au bord du silence

chaque note a sa pesanteur

son apesanteur particulière

je ne bavarde jamais

je n'aime pas le brio

le brio c'est toujours l'égo

et ses vieilles  lunes

je préfère jouer vers autrui vers l'autre

tendre sereinement mon coeur

oui ma musique s'envole vers autrui

c'est un art de l'envol quoi d'autre

 

* * *

 

je tombe

mais je monte comme un ange

je descends

jusqu'au fond du ciel

je ne sens

aucune douleur

aucune

la vie est vivante

si vivante

 

 

Chet Baker (déploration) / préface d'Yves Buin.

- Le Castor Astral, 2008. - 113 p.

 

Zéno Bianu

 

Né en 1950. Une trentaine de recueils, parmi lesquels : Manifeste électrique aux paupières de jupes (Le Soleil Noir, 1971) ; Mantra (Les Cahiers des Brisants, 1984) ; Poèmes et proses des ivresses, avec Vincent Bardet (Seghers, 1984) ; Connaissance de l'ombre (Passage, 1986) ; La danse de l'effacement, préface de Charles Juliet (Brandes, 1990) ; Fatigue de la lumière (Granit, 1991) ; L'atelier des mondes (Arfuyen, 1999) ; Infiniment proche (L'Arbalète Gallimard, 2000) ; Le battement du monde (Lettres vives, 2002) ; Suite pour Albert Ayler (Les Faunes, 2002) ; La troisième rive (Fata Morgana, 2004) ; Lâcher-prise, avec Simon Messagier (Le Temps Volé, 2007) ; Variations Artaud (Dumerchez, 2008).

Plusieurs anthologies, chez Albin Michel, Seuil et Gallimard : poésie chinoise, Indiens précolombiens, poésie contemporaine francophone, haïkus japonais, poètes du Grand Jeu, ...

Essais : Krishnamurti ou l'insoumission de l'esprit (Seuil, 1996) ; Sagesses de la mort (Albin Michel, 1999).

Théâtre : Mandala (France Culture, 1998) ; Orphée (2001), Constellation des voix (Maison de la Poésie, 2008). Traductions et adaptations de Lope de Vega, Miklos Szentkuthy, Marlowe, Brecht, Marian Tsétaïeva, Dostoïevski, ...

 

 

 

 

 

 

15/07/2008

Siham Bouhlal

 

Mon être ouvre ses plaies pour y tailler

d'autres plaies Il ne sait où va

s'épaissir son sang

Mon être Buisson d'épines qui se

mutile encore Dans ses ténèbres éteint

les cierges et brise les éclairs

Une douleur gisant dans tes mots

décharne ma joie Fracasse ce souffle

qui se porte vers toi

Tes yeux ne me reconnaissant plus

Tes mains devenues absence revêtent

mon corps d'une robe de braises

Où partir quand mes pas me mènent

vers toi Quand ma fragilité en toi

a trouvé refuge Que mes blessures

par tes caresses s'aguerrissent ?

Dans quel silence m'anéantir quand

l'Univers dit ton nom ?

Tu ne veux de mon amour les

inquiétudes Comment arracher les

pages d'un livre scellé par toi ?

Comment entraver le mouvement

de mon âme voyant un autre visage

de ta joie ?

Quel pacte est donc plus vrai

que ton être couché en moi ?

Quelles lignes voudraient

de mon amour tracer les frontières

quand l'Univers ne le contient ?

Quel papyrus saurait renier mon être

quand je suis née de toi ?

Quand tu m'as redonné la foi

quelle force pourrait faire trembler

mon regard sur toi ?

Ma tête voudrait être tranchée par ta

main au lieu de reposer sur un autre

bras

 

Songes d'une nuit berbère / dessins de Diane de Bournazel.

- Al Manar, 2007. - 88 p.

 

 

Siham Bouhlal

Née en 1966 à Casablanca. Autre recueil : Poèmes bleus (Tarabuste, 2005).

Traductrice de textes médiévaux (Le livre de brocart ou la société raffinée de Bagdad au Xe siècle, Gallimard, 2004) et de poésies arabes classiques et modernes (Pour une altérité féconde, Institut du monde arabe, 2003).

11/07/2008

Jacques Josse

 

Mentir apaise sa douleur. Les yeux plongés dans les auréoles de gasoil qui colorent le bassin, il affirme soudain (les voisins baissent la tête) que l'an passé, à la Toussaint, pour sauver l'âme du péri, pour que les gens du fond l'invitent (où qu'il se trouve) à s'asseoir autour des tables de pierre, il s'est décidé à quitter l'anse de Gwin-Zegal pour se rendre aux îles Sulawesi. Là-bas, vit une sorte de fée des mers. Il lui devait une offrande. Après avoir versé deux doigts de rhum sur un buisson de corai, (il ne ment plus : il est même persuadé d'avoir réalisé cela) il a mis à l'eau et fait se diriger vers elle une noix de coco percée avec à bord des lamelles de mangue, du tabac, du manioc, des pétales de roses et une bougie allumée par le briquet du défunt.

 

* * *

 

Pas loin, le père, ses doigts tremblent entre des photos sorties d'une vieille boite en fer, peinte au rouge sang de boeuf, murmure, à peine audible, l'arthrose ayant déjà gagné ses mâchoires, là c'est lui, le jour où son oncle lui a ramené un perroquet d'Afrique. Il pose assis et souriant, l'oiseau multicolore à sa droite, sur le mur près du perchoir. N'a pas encore la tête ravagée qu'on lui connaîtra deux ans plus tard, quand il rentrera dans la cuisine en marmonnant qu'il n'en pouvait plus, qu'il a fini par actionner la poulie avec la corde et le seau au bout, envoyant, ficelé dedans, le braillard d'Accra insulter l'eau croupe au fond du puits.

 

Sur les quais. - TraumfabriK, 2007. - 41 p.

 

 

Jacques Josse

 

Né en 1953. Parmi ses autres recueils : Fissures (Amériane, 1979) ; Tachée de rue la blessure (Castor Astral, 1979) ; Fabrique (Dé bleu, 1981) ; Deuxième tableau (Castor Astral, 1983) ; Talc couleur océan (Table Rase, 1987) ; Des voyageurs égarés (Écho des brumes, 1994) ; Le veilleur des brumes (Castor Astral, 1995) ; Des étoiles dans le coeur (Dana, 1997) ; Vision claire d'un semblant d'absence au monde (Apogée, 2003) ; Un habitué des courants d'air (Cadex, 1999) ; Café Rousseau (La Digitale, 2000) ; Ombres classées sans suite (Cadex, 2001) ; La mort de Grégory Corso (La Digitale, 2001) ; Lettre à Hrabal (Jacques Brémond, 2002) ; Bavard au cheval mort et compagnie (Cadex, 2004) ; De passage à Brest (La Digitale, 2004) ; Les buveurs de bière (La Digitale, 2005).

Essai : Jules Lequier et la Bretagne (Blanc Silex, 2001).