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03/08/2008

Jean-Philippe Raîche

 

Et l'habitude encore,

comme on garde un secret,

de taire mon souffle

quand s'élève

ce qui n'est pas encore

un air,

un pas,

un claquement connu.

 

J'entends

le germe enfoui qui peine

et les gémissements offerts

où nait le premier nom du monde

et ces poumons gonflés d'orage,

ventre des voiles fières

de leur fracas.

 

Dans l'attente mobile

et le bruit.

 

* * *

 

Ne me demande pas

ce en quoi je descends

ni le nom de celle

que je cherche.

Longeant les heures,

à mi-chemin d'un jour éteint,

je viens à elle

où elle n'est pas.

 

Ne me demande pas d'où je reviens.

Suis-moi.

 

 

Ne réveillez pas l'amour avant qu'elle ne le veuille.

- Perce-Neige, 2007. - 82 p.

 

 

Jean-Philippe Raîche

 

Né en 1970, en Acadie. Autres recueils : Une lettre au bout du monde (Perce-Neige, 2001) ; Latitude des corps (Écrits des Forges, 2002).

Responsable du livre et du cinéma au Centre culturel canadien de Paris.

 

 

 

31/07/2008

Catherine Lalonde

 

je passerai toutes nuits

sur le rebord de ta pensée

à regarder ma main fondre

à la chaleur de ton crâne

plus d'

accusations dans les index plus d'

arthrite dans la cassure au pouce

les os redeviennent vieux plancton de légende

 

mes ongles disparaîtront en dernier

sans histoires

 

je m'endormirai manchot je me réveillerai cul-de-jatte

tu seras

parti sur la pointe des pieds l'idée

de mes jambes encore nouée à ta nuque

et dans la rue

et dans le metro

et sur ton chantier rouillé

 

le reste de mon corps nidifié sous les draps

 

 

 

Corps étranger / préface de Nancy Huston.

- Québec Amérique, 2008. - 123 p.

 

 

Catherine Lalonde

 

Née au Canada en 1974. Parmi ses autres recueils : Jeux de brumes : vertiges (Le Loup de gouttière, 1991) ; Cassandre (Québec Amérique, 2005).

 

 

27/07/2008

Vincent Wahl

 

Arbre gêné par la logique

 

Je suis le fils d'un chasseur-cueilleur du Kalahari

se régalant d'insectes

 

d'un habitant néolithique des marais

pêcheur de carrelets

mis à cuire enveloppés de feuilles

sous la cendre

 

d'une vendeuse d'empanadas en feuille roussie de bananier

brûlantes

derrière le marché d'oaxaca,

odeurs du cacao fraîchement moulu

que l'on mélange à volonté

de cannelle et d'amandes

 

le fils d'un éleveur d'onagres

d'un bûcheron piégeant les ours

avec des coins à fendre les grumes.

 

 

Je suis en somme le descendant quadrumane

de mes propres yeux écarquillés

le long du stipe d'un palmier à sucre

au bord de la Sé-kong

 

fils de ma convoitise

 

Et comme Caleb à l'est d'Eden,

ma mère est un cuisinier chinois

 

me nourrissant de chou saumuré,

par la Mère à peine donnée

aussitôt retirée,

mais l'autre, la vraie

 

à modeler de mes meilleures phalanges

 

langue, liant, mère des choix

de l'éveil

acceptant que se déchirent

les langes.

 

 

Il faut imaginer :

un petit garçon sur la grand-place de Wissembourg

 

compte à voix haute les morceaux de sucre

d'un paquet déficelé

compte en français

 

langue sévèrement interdite

de Reichsland.

 

 

Il faut imaginer la ruée mate

des coiffes noires

le message essoufflé de la voisine :

Katharina, Catherine,

ton fils compte les sucres en français.

 

Il faut s'imaginer descendre

en langue prohibée

 

de l'arbre à sucre.

 

 

Oeil ventriloque : rumines un. - Rhubarbe, 2008. - 87 p.

 

 

Vincent Wahl

 

Né en 1957. Autres recueils : Communauté des parlants (Cylibris, 2002) ; Tous les râteliers : rumines deux (Rhubarbe, 2009).