24/03/2015
Michel Hardy
La murène est souveraine de son univers aquatique ; elle loge dans les anfractuosités sombres et glauques que tapisse la gorgone filigranées et frangent le corail rouge et l'anémone chatoyante. La murène aime son confort et n'extirpe la plupart du temps son corps sinueux de l'antre qui l'abrite qu'à moitié, comme s'il s'y trouvait quelque poêle auprès duquel elle continue de se chauffer les reins tout en observant le va-et-vient des autres créatures de l'onde. On l'imaginerait volontiers sous les traits d'une prostituée d'Amsterdam, n'exhibant que ce qui est nécessaire dans l'exiguïté de son cabinet vitré et ondulant en permanence pour attirer le miché. Malgré la certitude immédiate du danger représenté par les dents acérées qui garnissent son sourire paradoxal, les plongeurs aiment s'approcher de la murène pour tenter de caresser sa cuirasse niellée de bluettes.
* * *
Ma sœur, mon erreur,
Au regard voilé d'un haïk couleur de cendre,
Aux pieds chaussés de mules de cuir de ténèbres sonnantes,
Quand me laisseras-tu oublier ?
Ma sœur, ma peur,
A la voix coiffée d'une guimpe couleur de muraille,
Aux mains gantées de mitaines de dentelle blanche absente,
Quand me laisseras-tu dormir ?
Ma sœur, ma douleur,
Aux lèvres ceintes d'un baiser couleur de sang,
Au ventre sanglé de désir de panthère des neiges fondantes,
Quand me laisseras-tu mourir ?
Je ne m'appelle pas (Michel Hardy) :
extraits des carnets de Chaïm Dreyl, 1929-1936.
- éd. Voix d'encre, 2007. - (env. 100 p.)
Michel Hardy
... ou Chaïm Dreyl ou bien Elie McRydha ou encore Rhàil McHedy... Comment s'appelle-t-il ? S'appelle-t-il ? Qui est-il ? Quand est-il ? Est-il ?
Je l'ignore. D'aucuns prétendent qu'il serait né en 1955.
Autres recueils signés Michel Hardy : Un risque de chaos (éd. Voix d'encre, 2002) ; Douzaines (éd. Librairie-Galerie Racine, 2005).
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19/03/2015
Michèle Finck (4)
Fauré : Requiem.
Jean Fournet. Camille Maurane.
"Libera me Domine." Voix de Camille Maurane
Surgie de quelle douleur de ronces ? Vers l'offrande
De quelle paix ? L'orgue et les cordes tendus vers
Quelle délivrance de l'os ? Chœurs aux pieds nus
Élèvent une rosace de silence dans l'obscur.
* * *
Brahms : Sonate pour violoncelle et piano n° 2.
Jacqueline Du Pré. Daniel Barenboim.
Rumeur sourde du violoncelle.
La neige des sons coule sur le visage enfant
Comme des larmes. Si les morts pouvaient
Parler entre eux, dit un ange,
Ce serait par le violoncelle.
La troisième main. - éd. Arfuyen, 2015. - 142 p.
Michèle Finck
Née en 1960. Deux autres recueils : Balbuciendo (éd. Arfuyen, 2012) ; L'ouie éblouïe (éd. Voix d'encre, 2007).
Enseignante de littérature comparée à l'Université de Strasbourg, spécialiste d'Yves Bonnefoy et de Claude Vigée, dont elle a préfacé les oeuvres complètes parues aux éditions Galaade en 2008. Travaille notamment sur les liens entre la poésie et les autres arts : Poésie et danse à l'époque moderne : corps provisoire (éd. Armand Colin, 1992) ; Poésie moderne et musique : vorrei e non vorrei : essai de poétique du son (éd. Champion, 2004) ; Giacometti et les poètes : "si tu veux voir, écoute" (éd. Hermann, 2012).
Déjà invitée sur Poésiemaintenant, les 19 décembre 2006, 20 novembre 2008 et 29 septembre 2012.
Son site (lien ci-contre) : http://michele.finck.free.fr
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15/03/2015
Bruno Doucey (3)
Passage
Écrire de feu l'eau claire
la pente du sourcil
la traque du jaguar
Écrire d'un bond ta peau
le sable des lisières
l'aube des sentinelles
Écrire sans fin de rage
de peur et de brisures
écrire de bric et de broc
de soc et de pollen
Pourvu qu'en son passage
le vent te laisse nue
à la pointe des mots.
* * * * *
Paternelle
Je suis un banc de sable
dans le courant du fleuve
où vogue la maison
de votre enfance
Pas une digue
pas un moulin
dont l'eau ferait tourner les pâles sans relâche
Un simple banc de sable
où le courlis de vos rires
trace son alphabet
sur des plages éphémères
Ni château sur le rive
ni large pont de pierre
pas même ces écluses qui portent la mémoire
Je suis un banc de sable
où des barques sans fond
viennent se reposer
de vos robinsonnades
Une île à peine
que les remous déplacent
et que les crues chavirent
Une langue de sable
sa coulée de lumière
qui abandonne en douce
des bouteilles à la mer
* * * * *
L'attrape-rêves
j'ai besoin d'un attrape-rêves
pour atteindre les chemins arborés
de ton enfance
pour te prendre
herbe folle
dans la coulée des fleuves
quand des oiseaux de nuit
secouent le ciel
au-dessus de nos toits
besoin d'un attrape-rêves
pour déposer ton nom
sur les eaux de la confluence
fixer ta nudité
dans l'instant
de mes bras
quand ton visage m'apparaît
comme une flèche
en son miroir
(...)
S'il existe un pays. - éd. Bruno Doucey, 2013. - 136 p.
Bruno Doucey
Né en 1961. Parmi ses autres recueils : Poèmes au secret (éd. Le Nouvel Athanor, 2006 et 2008) ; La neuvaine d'amour (éd. L'Amandier, 2010) ; Bien loin des terres éboulées (in Lèvres urbaines n° 42, éd. Écrits des Forges, Québec, 2010).
Nouvelles : La Cité de sable (éd. Rhubarbe, 2007).
Romans : Victor Jara : non à la dictature (éd. Actes Sud, 2008) ; Federico Garcia Lorca : non au franquisme (éd. Actes Sud, 2010).
Essais : Pierre Seghers, Poésie la vie entière : résister, éditer, écrire (éd. IMEC, 2011) ; Le prof et le poète : à l'école de la poésie (éd. Entrelacs, 2007).
Nombreuses directions d'anthologies, chez Robert Laffont, Gallimard, Seghers, etc.
Éditions de poésie Bruno Doucey créées en 2010 : 75 recueils et anthologies publiés à ce jour, http://www.editions-brunodoucey.com/ (lien ci-contre)
Déjà invité dans Poesiemaintenant le 17 février 2007 et le 30 janvier 2010.
11:50 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : poème, poésie