27/02/2015
Joëlle Gardes
J'ai vu la ride sur mon visage et la feuille qui roussit, la main du nourrisson crispée sur le sein, la goutte de lait au coin de la lèvre et la sève qui dresse la tige vers le ciel du mois de mars.
Je n'ai pas reconnu le temps.
J'ai respiré l'odeur entêtante du jasmin, celle des premiers feux dans la campagne quand la gelée le matin blanchit les herbes, et le parfum des raisins dans les cuves, sucré jusqu'à l’écœurement.
Je n'ai pas reconnu le temps.
J'ai entendu le chant obsédant des cigales, le silence feutré de la neige, le vent qui hurle dans la cheminée et la vague qui se brise sur les galets.
Je n'ai pas reconnu le temps.
* * *
La ligne du temps suit la fissure sur le mur
les craquelures sur la terre desséchée
la ride sur le visage
La fissure, la craquelure, la ride ne se combleront pas
le champ stérile attend en vain la pluie
les pierres roulent au pied du mur
le visage d'émacie et se recouvre de tavelures, fleurs de cimetière.
* * *
La mouche se débat dans la toile d'araignée mais nous ne sentons pas la trame du temps sauf quand la fleur le matin épanouie referme sa corolle au crépuscule.
Pénélope tisse et défait sa tapisserie, défait puis tisse. Le tissu de notre vie ne se répare pas. Cronos dévore ses enfants et nous gaspillons nos actes, nos tâches insignifiantes dans l'inconscience de la répétition.
Sous le lichen du temps. - éd. de L'Amandier, 2014. - 58 p.
Joëlle Gardes
Née en 1945. Parmi ses autres recueils : Dans le silence des mots (éd. de L'Amandier, 2008) ; Méditations de lieux / avec Claude Ber (éd. de L'Amandier, 2010).
Théâtre : Madeleine B. ou la lune rousse (éd. de L'Amandier, 2006).
Nouvelles : A perte de voix (éd. de L'Amandier, 2014).
Romans : Ruines (éd. Via Valeriano, 1998) ; La mort dans nos poumons (éd. Léo Scheer, 2003) ; Le charognard (éd. du Rocher, 2007) ; Olympe de Gouges (éd. de L'Amandier, 2008) ; Le poupon (éd. de L'Amandier, 2011).
Travaux universitaires. Biographe de Saint-John Perse.
Son site : http://www.joelle-gardes.com/
23:26 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie
08/01/2015
Alain Freixe (2)
Tu fronces un peu les yeux comme pour te libérer du silence. Descellées, les lattes du parquet en décident toujours autrement. C'est alors comme un bruit. Du silence froissant du silence, et s'effeuillant. Se dépliant en tons sourds, en vibrations sèches vouées à se perdre dans la distance où tu te tiens. Ce bruit de fond roule parmi tes pierres ses eaux d'hier et de demain.
Sous leur poussée, tu revois, ces feux que le soleil allumait aux raisins de l'été jusqu'aux froids de l'hiver. Et dans les vignes de novembre, avant le vin de lune, ces fagots de sarments. Leurs poids sur les épaules des enfants qui avaient cru aux flammes.
Cela ne dure pas. Déjà, le vent déchire les ombres. Et c'est la clarté du temps qui s'engouffre. Quand tout à son heure, frémissant et murmurant, il voue ses bruissement à n'être pas tout à fait du jour.
Chez toi n'est jamais qu'un seuil. Par chez toi, tu passes et repasses, envisages et dévisages, ne reposant jamais que dans les bras de cet ange blanc de la distance, dont tu aimes à te souvenir. Ange au sourire, blanc comme l'amour. Quand la main de l'inconnu pèse à ton épaule. Vers l'avant. Jusqu'aux violettes cernées au noir humide des sous-bois.
Toujours entre deux marches, deux plis de terre, deux argiles piétinées. Toujours à passer les frontières. Tu rôdes, entre deux tons, deux tâches de couleur ou deux sons, fidèle à cet éloignement par où te vient le monde. De biais. Toujours.
Avant la nuit. - éd. L'Amourier, 2003. - 62 p.
Alain Freixe
Né en 1946. Parmi ses autres recueils : Partage orphelin (éd. G. Chambelland, 1981) ; Ailes, quant à la détourne (éd. G. Chambelland, 1981) ; Où suffit la lumière (éd. Cahiers Froissart, 1989) ; A jour perdu (éd. Encres vives, 1995) ; Comme des pas qui s'éloignent (éd. L'Amourier, 1999, Prix Louis Guillaume 2000) ; Cahier Rovini (éd. L'Amourier, 1999) ; Entre pierres et lumières (éd. La Porte, 2000) ; Traces du temps (éd. L'Amourier, 2003) ; Villes, passages sombres du temps (éd. La Porte, 2004) ; Rappelez-vous / avec Yves Ughes (éd. La Porte, 2006) ; Dans les ramas (éd. L'Amourier, 2007) ; Madame des villes, des champs et des forêts / avec Raphaël Monticelli (éd. L'Amourier, 2011) ; Vers les riveraines (éd. L'Amourier, 2013).
A lire également : Chant de l'évidence : entretien avec Alain Freixe / Jean-Max Tixier (éd. Autres Temps, 2008).
Son blog, La poésie et ses entours, un foisonnement d'informations sur la poésie contemporaine : http://lapoesieetsesentours.blogspirit.com/ (lien ci-contre)
Déjà invité dans Poésiemaintenant le 2 septembre 2006.
09:31 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème en prose, poésie
01/12/2014
Murièle Camac (2)
Sanctuaire
le lit a été fait comme il faut
et les vieilles mains passent
en un rite discret
sur le revers bien blanc du drap
c'est un geste qui ne sert à rien
et l'oeuvre sera détruite ce soir
comme tous les soirs innombrables
c'est un geste indispensable
quand plus personne ne le fera
un monde aura pris fin
- la croyance dans les lits bien faits
le désir du paradis
propre, lisse, blanc
les certitudes d'un siècle -
les vieilles mains caressent le drap
doux au toucher
La mer devrait suffire. - éd. Henry, 2014. - 114 p.
Murièle Camac
Née en 1971. Autre recueil : Vitres ouvertes (éd. Décharge / Gros Textes, collection Polder, 2012).
Poèmes publiés dans les revues N4728, Poésie/première, Verso, Décharge, Traction-Brabant, Conférence, Cabaret, Poésie sur Seine...
Son blog : Les portes de la perception (lien ci-contre).
Déjà invitée dans Poésiemaintenant, le 13 février 2014.
07:05 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, poésie, poésie contemporaine