03/10/2012
Lettre ouverte à Monsieur Vincent Peillon, Ministre de l'Éducation nationale
Monsieur Vincent Peillon
Ministre de l'Éducation nationale
110, rue de Grenelle
75357 PARIS SP 07
3 octobre 2012
Monsieur le Ministre,
Depuis 15 ans, l’équipe du Printemps des Poètes accomplit un travail remarquable de promotion et de diffusion des écritures poétiques contemporaines. Pour avoir participé à plusieurs de ces actions aux côtés de Jean-Pierre Siméon et ses collaborateurs, je peux témoigner de leur compétence, leur dévouement et leur efficacité.
Vos services viennent de réduire de 40% (60 000 €) la subvention annuelle que votre Ministère verse à cet organisme.
Nous sommes nombreux, en France et à l’étranger, à trouver cette décision incompréhensible et extrêmement décevante.
La crise actuelle impose certes de réaliser des économies. Mais s’il est un domaine à préserver, c’est bien celui, si précieux, si fragile, de la poésie.
Construisons quelques kilomètres d’autoroute de moins. Ne tirons pas un ou deux feux d’artifice. Passons-nous de quelques Rafales. Mais, Monsieur le Ministre, permettons aux défenseurs de la poésie de faire leur travail.
Jean Jaurès, que vous connaissez si bien, n’aurait jamais signé une pareille mesure. Sa pensée, son action, son idéal s’enracinaient dans une connaissance intime des philosophes, des écrivains et des poètes.
Je ne peux pas imaginer une seconde que vous confirmerez cette décision. Je suis persuadé que vous aurez à cœur de donner à l’association du Printemps des Poètes tous les moyens de poursuivre son travail.
Vous remerciant de l’attention que vous porterez à ce courrier, je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, à l’expression de mes sentiments respectueux.
Pierre Maubé
Bibliothécaire, écrivain,
membre des comités de rédaction des revues de poésie ARPA et Place de la Sorbonne.
22:14 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (10)
29/09/2012
Michèle Finck (3)
Tout au fond
Tout au fond de la douleur il y a encore un fond
Plus profond où se jeter corps et crâne contre le roc.
L'amour impossible est un soleil suicidé
Qui cicatrise de cris dans le ventre.
Heurts de langue contre la lame de la mémoire.
Les sanglots veillent sur la solitude de l'os
Et le bercent. La mie des mains prie plus douce
A chaque chute. Les bouches de la folle se changent
En violoncelle et tètent le noir.
* * *
A la couleur
J'ai cru griffer le ciel jusqu'au sang
Mais le ciel ne saigne pas.
Quand le prince de la couleur viendra-t-il
Enluminer nos corps de sa salive multicolore ?
Quand peindra-t-il en nous ses fresques silencieuses ?
Seul vient un mendiant de mots, chargé de nuit.
Nous nous agenouillons tous deux au bord de l'os,
Inconsolables, pour pleurer l'implosion de la couleur.
Le noir est la seule vérité de la bouche.
Ce soir un peu de bleu a eu pitié de moi
Et s'est posé sur mon front comme une étoile.
Balbuciendo. - éditions Arfuyen, 2012. - 86 p.
Michèle Finck
De la douleur à la couleur...
Née en 1960. Un autre recueil : L'ouie éblouïe (gouaches de Coline Bruges-Renard, éd. Voix d'encre, 2007).
Enseignante de littérature comparée à l'Université de Strasbourg, spécialiste d'Yves Bonnefoy et de Claude Vigée, dont elle a préfacé les oeuvres complètes parues aux éditions Galaade en 2008. Travaille notamment sur les liens entre la poésie et les autres arts : Poésie et danse à l'époque moderne : corps provisoire (éd. Armand Colin, 1992) ; Poésie moderne et musique : vorrei e non vorrei : essai de poétique du son (éd. Champion, 2004) ; Giacometti et les poètes : "si tu veux voir, écoute" (éd. Hermann, 2012).
Déjà invitée sur Poésiemaintenant, les 19 décembre 2006 et 20 novembre 2008.
Pour mieux la connaître, son site (lien ci-contre) : http://michele.finck.free.fr
16:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
08/08/2012
Olivier Hobé
12.VIII.07, bar de La Fresnerie, Vendée
(...)
Parfois Q. s'enfonce dans sa tumeur, la peur semblant alors y être chevillée. Il oscille entre impuissance et soumission. Cependant, l'exaspération qui fait naître la rebellion n'est jamais loin, qui ne sait contre qui ou quoi s'exercer.
Sa douleur passe dans la mienne : il me faut vite l'apprivoiser avant de la lui rendre moins sauvage, comme apaisée, pur jus de fruit pressé entre mes mains. Aussi, lorsqu'on nous a annoncé son cancer, et sans doute pour exciter notre imaginaire qui s'effondrait alors, on nous a dit qu'il avait une orange dans le ventre.
Tuer un cygne est sacrilège (Parsifal).
(...)
30.IX.07
Au lever du soleil la lumière est d'un jaune mûrissant. François Boulic, mon héros du moment, entame son dernier voyage.
Il manque encore quelque chose à son parcours, il est vrai qu'il ne fait pas carrière, et j'ai écarté l'idée de le croire entroupé. Il vit dans une sorte de méditation violente, fondu enchaîné à des laies interminables. D'un sonneur rustre et aviné, j'ai fait un poète russe dont le monde ancien s'écroule. Je mêlerai à nouveau, avant la chute, cette dernière traversée de lui-même avec les souvenirs de son enfance. Je suis le revenant de ce type lui-même alors revenu de tout.
Eu longuement le Bidurig au téléphone il y a deux nuits. Les discours des enfants qui n'ont pas l'habitude de beaucoup parler sont les trésors de leurs pères. Je hais les bavards, enfants y compris. C'est là que les tendres taiseux se révèlent bleus saumons remontant les rivières argentées du réseau mondial des ondes.
Toujours pas découpé La presqu'île (1), mais j'ai relu les russes chassés de leur cerveau, rassemblés par Armand Robin (2), je suis aussi entre deux actes d'Ondine (3), celle-ci n'a pas mangé depuis deux jours, le texte apparemment pas davantage, même si ça m'a fait sourire, ici où là.
Je réfléchis au PAM (4) et au POUM (5). Pif paf, la tumeur s'écroule sous les coups du tonnerre de Brest. L'espoir, ça ce construit n'est-ce pas, mais sur quel marais, sur quelle féodalité ? On me dit que Q. attend que l'aiguille tremble du côté de la vie. Son calme apparent face à l'adversité de l'inconnu ne cesse de m'impressionner. Chapeau bas. Toujours les crinières des chevaux légers renaissent à leur course originelle. Oui, bas, jeune homme, j'allais dire sous terre, et je me surprends à sourire, c'est bon, me dis-je.
(1) Julien Gracq, La presqu'île, Paris, Corti, 1970.
(2) Armand Robin, Quatre poètes russes, Cognac, Le Temps qu'il fait, 1985.
(3) Jean Giraudoux, Ondine, Paris, Grasset, 1980.
(4) Programme alimentaire mondial.
(5) Partido obrero de unificacion marxista, Espagne 1935.
(...)
26.VI.08, bar Le Dis-moi tu, Châteaulin
(...)
Une femme en forme de boule porte un pain rond. La tranchera-t-on ? Une autre n'a pas défait son paquet-cadeau oublié sur la banquette, je remarque aussi le drapeau norvégien collé sur la lunette arrière de sa voiture blanche. Il paraît d'ailleurs que là-bas, les fjords rougissent quand on les embrasse.
Je respire du Quentin, sa maladie me bouffe, m'envahit, je le sens, je le renifle, il n'a jamais été si proche de moi. On me regarde écrire. Dans un café, on se rend compte de la solitude des loutres. Il me semble être l'une d'entre elles.
Le journal d'un haricot. - éditions Apogée, 2011. - 54 p.
Olivier Hobé
Né en 1966. Parmi ses autres recueils : Autrement semblable (éd. Quimper est poésie, 1992) ; Carène (éd. Blanc Silex, 1999) ; Quelques phases critiques d'une géographie à bout de souffle (éd. Gros Textes, 2002) ; En pièces (éd. Le Chat qui Tousse, 2004).
Anime à Quimper la revue Trémalo qu'il a créée en 2006.
17:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, poème, enfant, maladie, attente